Ivan Zinberg "J'ai commencé à écrire avant d'être policier..."

INTERVIEW. Un policier qui écrit des polars, ça intéresse forcément... Qu'est-ce qui est vrai ? Qu'est-ce qui est faux ? Raconte-t-il une histoire qui lui est arrivée ? Ivan Winberg, lieutenant de police quelque part en France, ne montre pas son visage mais ce géant à l'air placide (l'est-il vraiment ?) a pris le temps de répondre à la multitude de questions que je lui ai posé (41 après décompte).

Quel est le premier livre qui t'ait marqué ? Et pourquoi ? Une scène en particulier ?

Je ne me souviens plus trop de ce que je lisais avant l'adolescence, mais les premiers romans adultes qui m'ont fait de l'effet sont des Stephen King. Je me rappelle clairement de l'été 1994, alors que je finissais mon année de 3ème. J'ai lu coup sur coup Misery, roman excellent, puis Minuit 2, un recueil composé de deux romans courts. Le deuxième, Fenêtre secrète, a été un exceptionnel moment de lecture. Une sacrée claque.

Une question obligée : qu'est-ce qui fait qu'un jour un policier se met à écrire des histoires policières, et pas autre chose ?

Dans mon cas, j'ai commencé à écrire mon premier roman avant de devenir policier. L'envie d'écrire remonte au début des années 2000. J'ai lu pendant un temps un certain nombre de thrillers. Ces lectures m'ont encouragé à imaginer une histoire et à la raconter. Pour ce qui est de l'univers policier, j'aime cet environnement. C'est un plaisir d'écrire dans ce genre-là, mais je sais que je ne me limiterai pas à ça.

Qui t'a donné envie d'écrire ?

Parmi les auteurs que j'ai lus au cours des années 2000 et qui m'ont donné envie de poursuivre pour achever la première version de Jeu d'ombres, il y a un Français et un Américain : Olivier Descosse (Le Pacte Rouge, L'Ordre Noir, La Spirale des Abysses...) et Joseph Finder (L'Instant Zéro, L'Instinct du Tueur, Le Club de Moscou...), deux grosses influences. Deux auteurs de talent dont les bouquins sont très efficaces. Je ne suis jamais déçu en les lisant et leurs livres m'ont vraiment encouragé.

Comment as-tu commencé ? Es-tu passé par plusieurs essais non-publiés avant Jeu d'Ombres ?

Je me suis lancé en tentant d'imaginer une scène de découverte de cadavre. C'était très mauvais, mais je prenais du plaisir à jouer avec les mots. J'ai senti qu'il y avait moyen de progresser et d'inventer une histoire. Pour Jeu d'ombres, qui est mon premier roman écrit, j'ai trouvé un éditeur assez vite. J'avais peaufiné mon texte autant que possible, pendant des années, pour lui donner un maximum de chances d'être retenu. J'ai envoyé le tout à 6 ou 7 éditeurs et les Éditions Critic ont dit oui très rapidement.

Pourquoi situes-tu (j’assume le jeu de mot à la con ;-)) tes intrigues systématiquement aux États-Unis (Jeu d'Ombres, Etoile Morte...) ? Serais-tu astreint à un devoir de réserve ? Pourtant d'autres policiers comme Jean-Marc Souvira ou Olivier Norek utilisent la France comme décor... Y a-t-il une autre raison ?

Plusieurs raisons à cela. C'est déjà plus divertissant et dépaysant pour moi de travailler chaque jour sur une histoire se déroulant dans un endroit exotique. Ensuite, oui, je m'impose une forme de devoir de réserve, je n'ai pas envie d'écrire sur la police française. Je me tiens très éloigné de l'univers policier français. Enfin, les États-Unis sont vraiment le pays idéal pour des intrigues complexes et spectaculaires. Elles y paraissent plus crédibles et y sonnent plus justes.

Quand écris-tu ?

J'écris les soirs, assez tard dans la nuit, et pendant la journée en période de congés. Quand je suis lancé dans le processus d'écriture, il n'y a presque pas un jour où je n'écris pas. Même si je n'ai qu'un tout petit moment de libre, j'écris quelques lignes pour que ça avance quand même. Il est bon de garder une dynamique d'écriture. Rester trop longtemps sans travailler sur le manuscrit fait décrocher de l'histoire, ce qui nuit à la cohérence de l'ensemble.

Où écris-tu ? Et comment écris-tu ? As-tu des rituels ? Ecoutes-tu de la musique avant, pendant ou après ? Fais-tu des pompes comme Ghislain Gilberti (Le baptême des ténèbres...) ? Bois-tu du café, fumes-tu un cigare... Bref, c'est quoi ton truc ?

J'écris à mon bureau, face à la fenêtre pour avoir une vue dégagée sur l'extérieur. Je travaille avec deux ordinateurs, l'un qui me sert aux recherches sur le net et l'autre qui ne contient qu'un logiciel de traitement de texte et le roman en cours d'écriture. J'ai une imprimante car je relis systématiquement sur papier chaque page écrite. Il m'arrive d'écrire en musique (rock et métal) ou avec un film en fond (des classiques des années 80 et 90 surtout). Je veille à être bien installé pour écrire : chaise très moelleuse et vaste bureau pour pouvoir y étaler toute ma documentation et mes livres. C'est important d'être à l'aise à l'endroit où l'on passe des centaines d'heures. J'essaie d'écrire au minimum 2000 signes par créneau d'écriture.

Est-ce que tu rédiges un plan avant de commencer à écrire ?

Absolument. J'établis un plan détaillé de l'histoire avant de me lancer dans l'écriture. Ce plan d'une dizaine de pages comprend le découpage de l'intrigue chapitre par chapitre. Chaque descriptif de chapitre comporte les éléments suivants : point de vue, lieu, repères chronologiques, contenu narratif et accroche de fin de chapitre. J'ai aussi des fiches signalétiques très fournies sur chacun des personnages, ce qui me permet dès le premier jet d'éviter un maximum d'incohérences.

Quand tu décris les États-Unis, en particulier Los Angeles, est-ce que ce sont des lieux que tu as visités, fantasmés ?

Visité, jamais. Vu et revu dans des films ou des séries, évidemment. Pour Étoile Morte, je me suis beaucoup plus soucié du degré de réalisme des décors que dans mon premier roman. Sauf exception, tous les lieux, les trajets et les quartiers décrits dans le livre sont des représentations exactes de la réalité. Pour ça, un outil informatique est fantastique, c'est Google Street View. Avec cette merveille, on voyage en restant assis dans son fauteuil. J'ai eu des retours de lecteurs qui se sont amusés à y chercher les lieux et adresses qui apparaissent dans le bouquin. Ils les ont retrouvés sans problème.

Quand tu lis tes petits camarades, qu'est-ce qui te dérange généralement en tant que policier ?

Pas grand-chose. Je suis assez tolérant vis à vis de la création des autres. Et c'est surtout la qualité des intrigues qui m'intéresse. Qu'il y ait des erreurs ou des approximations ne me gêne pas, d'autant que je dois en commettre quelques-unes aussi, surtout en écrivant des histoires se déroulant aux USA sans y vivre moi-même. Ce qui pique parfois un peu les yeux, c'est quand l'écart avec la réalité est vraiment trop important. Un personnage de policier français avec le grade d'inspecteur de nos jours, par exemple, c'est un peu gros. Ça n'existe plus depuis longtemps. De la même façon, on voit trop de romans où les seuls enquêteurs sont des officiers (lieutenants, capitaines, commandants), quand ce ne sont pas des commissaires, ce qui est très improbable pour ces derniers. Dans la réalité, les officiers chapeautent les groupes d'enquêtes et même s'ils mènent aussi des investigations, les vrais artisans OPJ de l'enquête judiciaire sont les gardiens de la paix et les gradés (brigadiers, brigadiers-chefs, majors). Ils sont trop souvent oubliés.

Pourrais-tu avoir un héros qui ne soit pas policier ?

Certains de mes personnages, dans chacun de mes romans, ne sont pas des policiers. Il y a une psychiatre dans Jeu d'ombres, un paparazzi et un hacker dans Étoile Morte, entre autres. Mais oui, je pourrais parfaitement imaginer des histoires sans héros flics. C'est même prévu au programme. Pour mon quatrième roman, si je ne change pas d'avis d'ici là, je compte élaborer un thriller dont l'intrigue se déroulera en France, et sans policiers.

Comment inventes-tu tes personnages ? Est-ce que tu t'inspires de collègues, d'anonymes, d'acteurs vus au cinéma ?

Au niveau du physique, soit c'est de la création pure, soit je m'inspire de personnages fictifs ou réels d'horizons très divers. Dans Étoile Morte par exemple, mes deux héros flics, Sean Madden et Carlos Gomez, ont des physiques inspirés respectivement de Larry Max de la bande dessinée IRS et du tennisman chilien Marcelo Rios. Au niveau des personnalités et des caractères, c'est selon l'histoire et le type de personnages que je veux mettre en scène. Sur ce terrain, je m'inspire de mon expérience personnelle des relations humaines.

Quand tu commences une intrigue, connais-tu ta fin ? Toujours ?

Oui, je connais systématiquement la fin dès le départ. Un polar est une histoire qui se déroule à l'envers. On part du meurtre et on remonte à la source en découvrant qui a tué et pour quelle raison. La fin conditionne donc tout le reste, toute l'enquête. La marge que je garde éventuellement pour la fin concerne la forme ou le sort fait aux personnages. On peut les faire mourir ou les sauver, mais la mécanique générale de l'intrigue et la chute ne bougent pas. Elles sont calées depuis le début.

Est-ce que tu te documentes ? Et dans ce cas, comment ? Par exemple, pour décrire l'univers du porno dans Étoile Morte, quels genres de recherche as-tu effectué ?

Je me documente en utilisant des sources diverses : presse papier, presse internet, essais, Wikipédia, documentaires, romans... Pour Étoile Morte, j'ai lu des essais comme Hard de Raffaëla Anderson ou Gang Bang de Frédéric Joignot, des livres assez durs sur la réalité de la pornographie. J'ai parcouru des notices biographiques et des témoignages d'anciennes actrices de X. L'idée du roman m'est venue en lisant un article sur l'histoire récente de la starlette de télé-réalité Cameron Bay, devenue actrice de porno et contaminée par le virus du SIDA sur les plateaux de tournage.

Sais-tu dans quel univers sera placé ton prochain roman ? Qui en sera, seront les héros ?

Je ne sais pas encore précisément. J'ai quelques idées dont l'une est en train de faire son chemin. Les ghettos blacks et latinos, l'extrême droite, les nouvelles technologies ou l'univers de la musique rock pourraient faire de bons sujets. L'intrigue se déroulera aux États-Unis. Pour ce qui est des personnages, j'aimerais réutiliser certains héros de mes premiers romans. J'y réfléchis. Il est très possible que les inspecteurs Madden et Gomez reprennent du service.

Combien de temps te faut-il pour écrire un livre ?

Pour Jeu d'Ombres, j'ai mis des années. C'est le roman qui m'a véritablement permis d'apprendre à écrire et je ne travaillais dessus que de temps en temps. Pour Étoile Morte, j'ai écrit tous les jours ou presque entre fin 2014 et début 2015. Je crois que ça m'a pris au total neuf ou dix mois, six pour l'écriture et trois ou quatre pour les corrections avec le directeur d'ouvrage. Pour le roman que je commence bientôt, je vais travailler jusqu'à l'automne 2016 avant de remettre le texte à mon éditeur.

As-tu été approché par le cinéma ou la télévision pour soit, adapter tes histoires, soit collaborer à l'écriture d'un film ou d'une série ?

Rien de tout ça. Je pense que ça doit être très agréable de voir son histoire exister sur un écran, mais pour ce qui est de travailler sur des adaptations de mes romans ou des projets de série ou autre – en imaginant qu'on me propose un jour quelque chose de cette nature – je déclinerais sans hésitation. Seule l'écriture de romans me passionne. Les romans me fascinent, pas tellement les films et les séries. La vie est trop courte pour consacrer du temps à des projets qui ne font pas vibrer.

Dans tes livres, quel personnage est le plus proche de toi ?

Dans mon dernier roman Étoile Morte, il y clairement de moi dans chacun des deux flics composant le duo d'enquêteurs Sean Madden et Carlos Gomez. Mais il y a aussi de l'invention pure, bien sûr.

Quels sont tes auteurs du moment ?

Au moment où j'écris ces lignes, je suis en train de lire le dernier Stephen King, Revival. Pas très original de citer encore King, mais je crois vraiment que c'est l'écrivain le plus important de ces dernières décennies, même si certains livres ne m'ont pas plu du tout. Je lirai sans doute un roman de Craig Holden dans la foulée, auteur que je veux découvrir. J'ai très peu de temps pour lire, malheureusement. Quand on écrit en ayant en plus une autre activité professionnelle, il ne reste plus beaucoup de créneaux pour la lecture.

Si tu pouvais être dans la peau d'un autre écrivain, quel livre aurais-tu aimé avoir écrit ? Et pourquoi ?

Mon auteur de polar français préféré reste Olivier Descosse. Des romans comme Miroir de sang, Le pacte rouge ou La spirale des abysses m'ont fortement influencé. J'aimerais en écrire de cette trempe. Descosse n'a plus sorti de thrillers depuis quelques années, mais j'attends qu'il s'y remette avec impatience. Pour moi, il est au-dessus du lot. J'adore son style. C'est LE modèle.

Propos recueillis via mail par Frédérick Rapilly (janvier 2016)

* Etoile Morte, Editions Critic, 2015

lien vers la chronique sur http://thrillermaniac.over-blog.com/2015/12/etoile-morte-ivan-zinberg.html

* Jeux d'Ombres, Editions Critic, 2014 et en poche aux éditions Points en 2015

Ivan Zinberg

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