ITW DOA : « Je ne suis pas un espion, je suis un romancier… »

INTERVIEW (2020). Ancien commando parachutiste, agent secret, créateur de jeux vidéo... Toutes sortes d'informations et/ou de rumeurs un peu étranges bruissent autour de l'écrivain D.O.A. publié chez Gallimard, auteur notamment de Pukhtu : Primo et Pukhtu : Secundo à la Série Noire. Deux tomes d'un thriller dantesque sur l'Afghanistan contemporain, nos guerres lointaines et le monde du renseignement. Le plus simple était de lui poser des questions. Une interview qu'il a accepté pour le 3ème numéro du nouveau magazine Alibi (et pour le blog Thrillermaniac), mais - légende oblige - via Internet. Et dont il s'est inquiété ensuite très poliment, via emails, de l'utilisation et d'éventuelles coupes. La voici donc publié en entier avec quelques « révélations » sur ses projets en cours. 

 

D'après la bio que l'on peut trouver sur Internet, vous avez été parachutiste dans un régiment d'infanterie de marine, et vos romans (je pense notamment à Pukhtu : Primo et Secundo) sont extrêmement documentés et nous plongent – nous, lecteurs - dans le dur direct, mais vous considérez-vous comme un ancien espion ? Ou y-a-t-il un autre terme pour désigner quelqu'un proche des milieux de renseignements ?

Je crois raisonnable de toujours se méfier de ce que l’on trouve sur Internet. Et il faut également prendre les « légendes » avec des pincettes. Si elles sont du même ordre que celles du fameux « Bureau » de Canal Plus, elles sont fausses par nature, et si elles relèvent de la rumeur, elles ne sont guère plus fiables. Je ne suis pas un espion, je suis un romancier ; quelqu’un qui, j’en conviens, effectue pour la plupart des gens une activité magique aux processus quelque peu mystérieux. Et en plus je publie sous un pseudo bizarre, hou ! Quant à la documentation de mes textes, elle n’est pas vraiment révélatrice de quoi que ce soit. Elle procède de mon grand intérêt pour les sujets que je traite et surtout d’un travail acharné, de longue haleine, tous azimuts, essayant de s’affranchir du moindre préjugé – même si c’est impossible – pour comprendre au mieux les phénomènes dont j’ai décidé de m’emparer pour construire une fiction.

 

A quoi reconnaît-on un ancien espion ou un espion en activité en lisant un roman ? Le sens du détail, le style, des codes que ne sauraient que les gens des "services" ? Est-il nécessaire de se créer une bonne légende quand on écrit des romans d'espionnage ?

Déjà, si c’est un bon espion, on ne le reconnaîtra pas (sourire, ndlr via mail, c’est difficile à voir ;-)). Et s’il est en activité, il n’écrira pas de romans, parce qu’il n’en aura a priori ni le temps, ni le droit. J’imagine que plus qu’un style et des codes, si l’on peut identifier quelque chose dans un texte produit par un homme de l’art, c’est surtout un état d’esprit, un mode de fonctionnement très intériorisé parce que vécu, une dimension très difficile à reproduire pour les gens qui n’en sont pas. (John) Le Carré, dans ses premiers romans sous ce nom, en est la parfaite illustration, même s’il n’est pas resté au service de sa Majesté très longtemps, cinq ans de mémoire (il a quitté le milieu au moment de l’affaire Philby, peut-être même à cause de celle-ci, cela commence donc à dater).

 

Est-ce que ce sont des romans d'espionnage lus à l'adolescence ou plus tard qui vous ont donné l'envie de vous lancer à votre tour dans l'écriture ?

Je n’ai pas lu de romans d’espionnage à l’adolescence et je suis venu à l’écriture assez tard, par désœuvrement, entre deux jobs. C’était néanmoins une lubie ancienne, jamais vraiment concrétisée jusque-là, une idée plaisante avec laquelle on joue. Quant aux sujets de mes livres, aux milieux dans lesquels mes intriguent se situent, je les choisis parce qu’ils m’intéressent ou m’interpellent. Tout le « Cycle clandestin » (ndlr, Citoyens Clandestins, Le Serpent Aux Mille Coupures, Pukhtu Primo et Secundo), par exemple, n’est au fond qu’un rejeton du 11 septembre.

 

Qu'est-ce qui pousse un ancien espion à écrire des romans d'espionnage ? L'envie de reconnaissance après avoir été longtemps dans l'ombre, l'envie de partager ce que l'on a vécu, éventuellement de la rancœur... Autre chose ?

J’imagine un peu tout cela. Mon expérience des milieux du renseignement, de la sûreté, termes à prendre au sens large, tend à montrer que leurs acteurs, s’ils sont pour la plupart tous tenus à la plus grande discrétion, aiment échanger à propos de leur travail et de leur vécu. Mais seulement quand une relation de confiance a été établie. N’étant pas journaliste, peut-être est-il moins difficile pour moi de susciter un tel sentiment. Donc, pour résumer, moins on peut parler, plus on a envie de le faire ? Pure conjecture de ma part.

 

Est-ce que Graham Greene, Ian Fleming ou John Le Carré font partie de vos modèles ? Ou pas ?

Je n’ai jamais lu Fleming. Greene et Le Carré, comme Forsyth ou Conrad, m’ont surtout procuré de grands plaisirs de lecture. De là à dire qu’ils sont mes modèles… En fait, si je devais donner quelques noms d’auteurs qui ont véritablement influencé mon travail, je citerai plutôt des gens comme Hemingway, Faulkner, Ellroy, McCarthy ou, plus près de nous, Dominique Manotti. Des gens qui m’ont fait réfléchir à la forme littéraire plutôt qu’au fond.

 

Quand on devient écrivain, romancier, auteur, et que l'on a été espion ou travaillé auprès des services... Est-ce qu'il y a des règles à respecter ? Et si oui, lesquelles ?

Là encore, je vais me contenter d’énoncer une hypothèse, qui s’apparente à une évidence : j’imagine qu’il y a, oui, des règles à respecter. Je ne crois pas que l’obligation de confidentialité disparaisse à quelque moment que ce soit de l’existence d’une personne ayant travaillé sous le sceau du secret. En activité comme à la retraite des services, il est raisonnable de penser que toute production intellectuelle puisant dans l’expérience de son auteur durant ses années de service sera contrôlée par des fonctionnaires spécialisés, qui vérifieront qu’elle ne révèle pas des techniques, procédures, opérations ou informations de nature à embarrasser la France, ou à compliquer le travail d’agents encore en activité. Ou à les mettre en danger, eux ou leurs proches, tout simplement. Sinon, comme l’a dit un comique corse, c’est la porte ouverte à toutes les fenêtres.

 

Pensez-vous que les espions écrivent en général de meilleurs romans d'espionnage que des auteurs n'ayant aucun lien avec des services ?

Les gens talentueux écrivent de meilleurs romans que les gens dénués de talent. Cela vaut pour les espions comme pour les autres. Reste à s’entendre sur ce que l’on appelle talent.

 

Qu'est-ce qui différencie un ancien espion, d'un ancien journaliste, dans l'écriture d'un thriller d'espionnage ?

Comme évoqué à la question 2, le vécu, l’intériorisation des choses, ou pour le dire autrement, l’expérience. Qui peut relever de la bénédiction comme de la malédiction. Pour paraphraser Maslow (ndlr, Abraham Maslow, psychologue américain considéré comme le « père » de l’approche humaniste), si l’on ne dispose que d’un marteau, tout ressemble à un clou. Un bon roman, ou, d’une façon générale, une bonne œuvre, ce n’est pas juste le fruit d’un ressenti personnel ou d’une connaissance intime, c’est aussi la capacité à s’extraire de celle-ci, à garder une distance avec elle, pour mieux la sublimer et en tirer quelque chose d’universel, qui ne relève pas du simple compte-rendu, du message, de la thèse, de la démonstration, mais plutôt de la conscience commune. Il y a aujourd’hui un danger qui menace toute création artistique, c’est cette croyance idiote que seuls les détenteurs d’une certaine expérience ou connaissance de la vie sont en mesure d’en disserter. Pire, sont légitimes à le faire. C’est une extension de la tyrannie des experts – quand, au même moment, chacun est devenu l’expert de sa propre vie – et elle commence à sérieusement empiéter sur l’art. Un phénomène assez grave, totalement « anti-humaniste » : comment aller vers l’autre et le comprendre quand il nous interdit de l’observer et de commenter ces observations ? Ou qu’il se pose en autorité incontestable ?

 

Les anciens espions lisent-ils des romans d'espionnage ?

Je ne peux parler que pour mes textes, qui ont bien circulé dans certains milieux. Cela m’a valu quelques rencontres inédites et intéressantes. Moi, j’aurais quand même tendance à me demander si, après des années passées à lire et écrire des rapports ou des notes (l’essentiel de leur activité), les anciens espions ont encore envie de se taper la production d’amateurs ou d’anciens collègues (sourire).

 

Votre prochain roman, après Lykaia sur les pratiques extrêmes, sera-t-il de nouveau lié aux mondes du renseignement ? Et si c'est possible d'en dévoiler l'intrigue, de quoi s'agit-il ?

J’ai un projet de longue haleine dont le pivot central est un officier SS ayant appartenu au RSHA (Reichssicherheitshauptamt, ouf !), l’Office central de la sécurité du Reich, affecté à sa sixième division, dite SD-Ausland, renseignement et sécurité extérieurs, pendant la seconde guerre mondiale (et déjà évoqué par Forsyth dans « Le dossier Odessa », d’ailleurs). Donc ce sera un peu « lié aux mondes du renseignement ». Je prévois de m’attacher à l’après ‘45, pendant la guerre froide, jusqu’à 1975, année de son décès. Ce sera probablement publié à la Blanche. Et sinon, je vais bientôt commencer à bosser sur un autre texte pour la Série Noire, un roman policier.

 

Où écrivez-vous ? Avez-vous un lieu précis ? Ou pas ?

Dans mon bureau.

 

Quand écrivez-vous ? La nuit, le jour ? A des horaires fixes ?

Le jour, « aux heures d’ouverture », afin de garder du temps pour mon fils et de maintenir un semblant de sociabilité.

 

Avez-vous des rituels d'écriture ? Faire 200 pompes avec de vous installer devant un ordinateur, écouter de la musique, boire un café...

J’ai surtout besoin de concentration, qui me vient avec difficulté. Donc pas de musique, pas de distraction : un clavier, un écran, mon plan de travail, du calme. Beaucoup de calme.

 

Quel est le premier livre qui vous ait marqué ? Une scène en particulier ?

« Le seigneur des anneaux », de JRR Tolkien, l’année de mes dix ans, avec ce passage très difficile – mais courageux pour un auteur – de la mort de Gandalf, attachant personnage s’il en est, dans les mines de Moria. Un grand choc pour ma jeune imagination d’alors.

 

Propos recueillis par Frédérick Rapilly (août 2020)

 

ITW DOA : « Je ne suis pas un espion, je suis un romancier… »
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
F
Le thème du numéro 3 d'Alibi, magazine consacré à l'univers du polar et du thriller, dont cette interview est extraite est autour des espions.... D'où un dossier autour de cette question : "Les bons espions font-il de bons écrivains ?" On est d'accord... C'est bien la qualité de l'écriture qui prime et pas ce qu'il est ou a été, mais c'est toujours intéressant de savoir d'où vient un livre, non ?
Répondre
B
Ancien espion ou pas, je l'ignore. Pas si secret en tout cas puisque j'ai pu échanger avec lui sur la foire du livre de Brive à l’occasion de la parution de Pukhtu. Et puis, que le personnage ait vécu ce qu'il décrit (comme Andy McNab, Chris Ryan par exemple), romancé son expérience (Comme Fleming) ou pas vraiment fait partis du cirque mais extrêmement renseigné (Comme Forsyth) l’essentiel n'est il pas qu'il sache nous y faire croire, nous donne l'impression de voir se dérouler une mission sous nos yeux? C'est bien la qualité de son écriture qui prime et pas tellement ce qu'il est ou a été.
Répondre
Personnaly © 2014 -  Hébergé par Overblog