Mattias Köping : « Je voulais que la violence sonne vraie… »

Mattias Koping : « Je voulais que la violence sonne vraie… »

 

INTERVIEW. Auteur des « Démoniaques » (Editions Ring), un premier roman ultra-noir détonnant, Mattias Koping se fait remarquer par une écriture brute, mais pas abrupte. Bien au contraire, difficile de lâcher son livre une fois commencé malgré un début « sur le fil du rasoir », comme il l’explique au cours de cette interview. Dans « Les Démoniaques » (voir la chronique sur le blog), il est question d’une jeune femme, Kimy, violée, violentée depuis son adolescence, de son père dit « L’Ours » qui supervise tous les trafics du coin, d’un livre qui éveille les consciences, et de la forêt et de son emprise.

 

Quel est le premier livre qui t'a marqué ? Quel âge avais-tu ? Et te souviens-tu d'une scène en particulier ?

Ce n'est pas tellement un livre. Ce sont plus des profs qui m'ont marqué et qui m'ont fait aimer les textes et la littérature, en particulier mon prof de français en classe de Première. Il avait le don de faire passer auprès de ses élèves tous les textes. Il m'a fait apprécier tous les genres qu'il nous présentait. De cette année scolaire, je me souviens très bien de Rimbaud, Baudelaire, Racine, Rabelais, Voltaire, Camus, Jarry... Ça ne m'a jamais quitté. Je lis de tout. Il était génial. Merci à lui ! 

Quand as-tu commencé à écrire ? Quelle était la première histoire dans laquelle tu t'es lancée ?

J'écris depuis l'âge de 20 ans à peu près. Mais j'ai connu de très longues périodes sans écrire du tout, plusieurs années de suite, car je suis très, très, très rarement satisfait de mon travail. J'aime écrire des nouvelles pour mon propre compte, ainsi que de la poésie. Cela m'amuse. De mes premiers essais, il ne reste rien. J'ai tout détruit. Encore aujourd'hui, je mets toujours pas mal de choses au feu. 

Ta biographie sur le site de ton éditeur, Ring, est très succincte... Peux-tu m'en dire plus sur toi ?

J'ai une vie assez tranquille, aux antipodes de celle de mes personnages. Je vis en Normandie, à la campagne. Je suis marié. J'ai deux enfants.

 

Le choix d'écrire un polar s'est-il imposé d'emblée, ou as-tu tâtonné et fait d'autres tentatives d'écriture auparavant ?

Je considère plus « Les Démoniaques » comme un roman noir que comme un polar. Ce n'est pas un texte à énigme et, somme toute, l'histoire est très simple. La première scène que j'ai écrite est celle du chapitre 2 (l’un des personnages, Kimy, vole un livre oublié par un professeur), puis mon texte s'est nourri de plusieurs sources et a progressé au fur et à mesure, se dévoilant au fil de l'écriture comme un texte très dur. Je n'ai jamais de plan déterminé quand je commence une histoire. C'est à la fois excitant, car on ne sait pas où l'on va, mais aussi pas toujours très productif : on prend souvent des pistes qui, avec le recul, ne sont pas terribles. 

Adolescent, étais-tu bon élève en français ? Est-ce que tu te souviens de tes notes au bac, et du sujet sur lequel tu avais planché ?

J'ai toujours été un bon élève en français. Par contre, mes notes au bac ont été décevantes compte tenu de ce que j'aurais pu faire... 

Où écris-tu ? As-tu des rituels avant de te mettre devant ton ordinateur : écouter de la musique, siroter un whiskey, sauter 100 fois à la corde, invoquer les esprits... ?

J'écris partout où je me peux m'installer avec mon portable, mais jamais dans des lieux publics. Le plus souvent, c'est à la maison. J'ai effectivement un rituel auquel je ne déroge jamais : je reprends toujours un peu le passage que j'ai écrit précédemment, avant d'entamer une nouvelle séance d'écriture. J'apporte parfois une toute petite retouche. D'autres fois, les modifications sont plus importantes et du coup, ce sont ces modifications qui font ma séance d'écriture. 

Quand tu écris : est-ce que tu pars d'un plan très construit, ou t'en vas-tu gaiement à l'aventure guidé par tes personnages ? Ou encore autre chose ?

Je n'ai jamais de plan au départ. Je pars toujours d'une situation qui me passe par la tête et qui me paraît intéressante. C'est là-dessus que je construis tout le reste, par ajouts successifs. Quand le texte me paraît assez étoffé, je m'arrête et je regarde s'il tient la route. A partir de là, je me projette un peu plus, mais jamais sur de très longues parties. Et en effet, je dirais volontiers que je laisse vivre mes personnages et qu'ils mènent souvent la danse. D'ailleurs, j'imagine les personnages en même temps que la situation de départ. 

D'emblée, « Les Démoniaques » n'épargnent pas le lecteur avec des scènes crues, beaucoup de violence... Est-ce que tu t'es posé la question d'éventuellement les "édulcorer" pour ne pas rebuter tes lecteurs, ou les as-tu assumées dès le départ ?

C'est une question très importante, à laquelle j'ai très longuement réfléchi. Quand j'ai compris quel genre d'histoire j'étais en train d'écrire, je me suis tout simplement arrêté et j'ai cogité des jours entiers avant de reprendre. Voilà ce que je me suis finalement dit : 1./ Soit tu n'écris pas le livre 2./ Soit tu édulcores totalement 3./ Soit tu assumes et tu y vas à fond. C'est la dernière solution qui l'a emporté. Pourquoi ? D'abord, le cinéma, la TV, la littérature ont tendance à nous rendre supportable ce qui, par définition, est insupportable et totalement inqualifiable. La plupart des fictions- pas toutes, attention !- , rendent la violence acceptable, l'enrobent de miel, la sucrent (ce qui est la définition même d'un édulcorant) et, finalement, on avale sans sourciller les pires atrocités, comme ça, à la chaîne. Ça ne nous dérange plus. On digère et on passe tranquillement à autre chose. Et je ne voulais pas écrire ainsi. Je ne suis pas le seul à avoir fait ça, très loin de là, mais je voulais que la violence sonne vrai et qu'on la prenne pour ce qu'elle est effectivement : horrible. Je pense avoir réussi sur ce point. C'est une violence sans glamour, terre-à-terre, et, par conséquent, glauque et très crédible. D'où la « claque » ! C'est un mot qui revient presque à chaque fois dans les avis et chroniques que j'ai pu lire sur mon bouquin. Il faut que les lecteurs sachent que les claques qu'ils ont prises, je me les suis données tout au long de l'écriture. Comme je le disais dans une interview pour le journal Paris Normandie, je suis descendu très loin en-dessous de ma propre limite d'inconfort. Cela a été une écriture parfois éprouvante et la rédaction du roman a été une vraie aventure pour moi. A cause de ça et de ma façon d'écrire au fil de la plume, je ne touchais pas du tout au texte pendant des semaines entières, pour souffler un peu et laisser reposer…

… Par ailleurs, eu égard à certains thèmes (le viol, la pédophilie, la traite d'êtres humains), je voulais clairement définir les personnages négatifs comme de véritables ordures, pour qu'il n'y ait aucune ambiguïté. Il est impossible de se tromper en lisant le bouquin : les salauds sont de vrais salauds. La seule chose qu'on éprouve pour eux, c'est du dégoût et de la haine. Aucune fascination possible, aucune identification non plus. Mais l'un des problèmes quand on opte pour ce choix de la violence crue, c'est vraiment de ne pas tomber dans le racolage. La limite est très mince, c'est un fil de rasoir. J'espère avoir réussi à éviter cet écueil. Je ne voulais surtout pas tomber dans la violence gratuite. Toutefois, si on demande ce que je préfère dans mon roman, c'est l'histoire de Kim et Henri. 

Quand tu inventes tes personnages, est-ce que tu t'inspires de traits physiques ou de caractère de personnes que tu connais, éventuellement de films, ou est-ce que ce sont de "pures" créations de ton esprit ?

Certains films, pour l'ambiance, étaient là, en toile de fond. Dans ta chronique, tu parles de « Délivrance ». Ce film fait partie du nombre (l'horrible scène du « cochon »…). Il y en a d'autres, aussi bien américains que français. Pour les films américains : « Délivrance », « Monster », « Bad Lieutenant », les films de Tarantino. Pour les films français, je citerai en particulier « Rue barbare », « Canicule », « Polisse », « L 627 », « Coup de torchon ». Plus bien d'autres encore…

… Surtout, j'ai regardé des documentaires sur les réseaux de prostitution, sur les trafics en tout genre et sur les gangs. J'ai aussi suivi de très près le débat sur la prostitution en France. Une mention spéciale pour le documentaire «  Putains de guerre », sorti en 2012 et régulièrement diffusé sur France 5, qui dénonce les collusions entre armées, Etats, grandes institutions et réseaux de prostitution sur les différents théâtres de guerre depuis la Seconde Guerre mondiale. C'est plus pour l'ambiance que ces sources m'ont apporté quelque chose que pour les personnages. Pour ce qui est des personnages, j'essaie de les faire sortir de mon imagination. Une chose que je déteste : leur donner un nom et un prénom. C'est toujours difficile. 

Quand tu t'es lancé dans "Les Démoniaques", est-ce que connaissais déjà la fin de ton livre ?

Non. Je vais là où le livre me porte. Cela dit, la toute fin du roman obéit aux lois du genre roman noir. 

Est-ce que tu peux m'en dire plus sur tes goûts en tant que lecteur ? Que lis-tu actuellement ? As-tu des auteurs fétiches ? Quel serait le livre que tu sauverais de ta bibliothèque si elle venait à brûler ? Et pourquoi ?

Je lis absolument de tout, dans tous les genres et toutes les époques, exception faites des biographies et autobiographies, qui ne m'intéressent généralement pas. Je ne suis pas spécialiste du polar, loin s'en faut. Les livres qui m'ont marqué sont finalement assez sombres. La palme revient à La Route, de Cormac Mac Carthy, qui est l'un de mes auteurs préférés. Pour le polar, le noir ou le déjanté, une mention spéciale pour James Ellroy, Chuck Palahniuk, Stieg Larsson, Anthony Burgess. J'ajoute Gomorra, de R.Saviano, qui montre très bien comment la mafia s'infiltre partout en Europe, là où on ne l'attend vraiment pas. 

Après "Les Démoniaques", sur quoi travailles-tu ? Peux-tu nous dévoiler un peu l'intrigue, le titre ?

J'ai des projets de romans, noirs ou pas. J'ai déjà des moutures, mais les textes sont en stand-by pour le moment. Je préfère donc ne pas en dire plus. J'aimerais aussi écrire du théâtre.

Propos recueillis par Frédérick Rapilly (novembre 2016)

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