La cour des mirages / Benjamin Dierstein
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... C'EST QUOI L'HISTOIRE ?
Une (très) belle maison à Neuilly. Un homme... pendu. Une femme et un garçonnet... assassinés. Une gamine... disparue. L'affaire qui tombe ou plutôt dégringole sur la Brigade criminelle de Paris que viennent de rejoindre, pour des raisons très différentes, la commandante Laurence Verhaeghen et un de ses anciens collègues devenu entretemps un héros de la police, Gabriel Prigent, a tout de l'enquête à emmerdes maximum. Car le type qui pendouille dans la maison n'était pas n'importe qui. Il grenouillait dans la politique, s'était présenté à la députation, et la chambre du couple à l'étage a tout l'air d'un nid douillet pour amateurs de sexe extrême. Godemichés et autres sextoys, films ultra X, photos dénudées... Et ce type avait de drôles de fréquentation. On est au début de l'été 2012, la gauche est au pouvoir, et dans la police, on purge. On se débarrasse des sarkozystes. Et de ce côté, Laurence Verhaeghen, ancienne de la DCRI ayant trempé dans quelques coups tordus, n'est pas une oie blanche. Quant à Prigent, shooté aux médocs depuis l'enlèvement et la disparition de sa fille Juliette, le bonhomme est à peine opérationnel mais qui oserait toucher à un héros de la police ? Bienvenu chez les pourris !
... ET C'EST COMMENT ?
Ambitieux, complexe, parfois barbant, souvent enlevé, ce 4ème roman de Benjamin Dierstein présenté par son éditeur comme un héritier d'Ellroy, Peckinpah et Cimino (des références littéraires et cinématographiques datées et écrasantes qu'il faut savoir et surtout pouvoir assumer !) est à la fois une bonne surprise, et aussi agaçant par certains côtés. Commençons par la bonne surprise : l'idée de mêler, d'entremêler à l'intrigue policière des éléments de l'agenda politique en cours, notamment l'affaire Cahuzac, ou les luttes intestines au parti socialiste entre pro et anti-Valls, pilotées par des conseillers en communication sans foi ni loi, donne un goût assez particulier à l'histoire qui plonge dans les méandres de la pornographie pédophile. Ce qui est agaçant ? Les valises en plomb que traînent derrière eux les deux protagonistes principaux dont la vie perso n'est pas que chargée, ni lestée, mais aussi lourde que deux Titanic en train de couler. Ce passé sans cesse rappelé, avec pour Prigent un procédé d'écriture censé nous plonger dans son chaos intérieur (rappelant la confusion mentale d'un des personnages principaux des Racines du Mal de Maurice G. Dantec), finit par n'avoir plus grand intérêt et on zappe allègrement sur la fin ces apartés trop longs, trop complaisants, trop stylés. Et au final ? Un bon bouquin, beaucoup plus classique que son début ne le laissait augurer, trop long (au moins d'un tiers), mais qui reste un peu trop à la surface des choses, comme si l'auteur malgré tous ses efforts (visibles !) restait extérieur aux préoccupations de ces personnages. Et pourtant, il n'aurait pas manqué grand-chose pour que l'émotion surgisse. Conclusion : un auteur à suivre pour qui j’irai faire un tour du côté de ses précédents romans, mais ne pas se laisser trop abuser par l’écran de fumée ultra branchouille (« philosophie critique », « idéalisme hippie », « désenchantement punk ») dont l’auréole son éditeur.
Cote d'amour = 75 %
Frédérick Rapilly (@FRAP)
Polar. Éditions Equinox, 847 pages, 22,80 E