Bernard Minier « Non, Servaz, ce n’est pas moi… Il est même très différent. »

INTERVIEW. Neuf romans en dix ans ! De Glacé jusqu’à La Chasse, numéro 1 des ventes de livres à sa sortie au printemps 2021… L’écrivain né à Béziers, contrôleur principal de l’administration des douanes dans une première vie professionnelle, n’a pas chômé. Il est aujourd’hui reconnu jusque dans les pays anglo-saxons, consacré par le Sunday Time dans le Top 100 des meilleurs auteurs de romans policiers depuis 1945. Et deux de ses romans sont en train d'être adaptés pour des plateformes de SVOD dont Une Putain d'Histoire qui devrait se tourner sur l'île de Groix en Bretagne. A-t-il beaucoup (ou pas du tout) évolué dans la façon d’imaginer, de fabriquer, de rédiger ses romans ?

 

Avec le temps, qu’est-ce qui a changé dans ta façon d’écrire ?

C’est comme pratiquer un sport, cela devient plus facile, on s’améliore. Pour Glacé, puis Le Cercle, j’avais peur de perdre ma fraîcheur si je me préparais trop à les écrire. Ensuite, je suis passé au road-book qui m’aide beaucoup. Et pourtant, je craignais vraiment de ne plus avoir de spontanéité. C’est comme un scène à scène de mes romans, alimenté par des images, des bouts de textes, des choses que je note. A tel point que ces road-books, ce sont comme les icebergs de mes romans, la partie immergée. Je trouve que cela donne plus de cohérence à mes livres. J’y mets les traits physiques de mes personnages, des photos de lieux que je visite, des considérations psychologiques, des cartes aussi des lieux que je veux décrire et utiliser. Mais tout ça forme aussi une sorte de carte mentale dans ma tête qui me permet d’aller avec plus d’aisance au bout de mon écriture. Pour prendre une comparaison, le roadbook serait l’équivalent d’un copilote si je conduisais une voiture pendant un rallye.

A quoi ça ressemble ces roadbooks ?

* Ce sont des grands cahiers, avec un système d’intercalaires. Je peux y glisser des plans, des photos, des dépliants, ou des notes… On trouve ça en librairie mais chacun est libre de créer son propre système.

Où écris-tu ?

* Je n’écris qu’à un seul endroit. Chez moi. Je bosse de 8 heures à 16 heures, et je m’arrête même pas les samedis et dimanches. C’est une forme de discipline.

Est-ce que tu lis d’autres auteurs quand tu écris ou tu te l’interdis ?

* Je lis peu de polars. Je précise bien : « peu. » Ca ne veut pas dire jamais. Je lis John Le Carré, Olivier Norek… Mais, par goût, je lis surtout Romain Gary, ou Dan Simmons avec Hypérionou L’Echiquier du Mal. Au début, c’est vrai que lorsque j’étais en phase d’écriture, j’avais peur d’être influencé mais, maintenant, je sais que j’ai mon style et qu’il est assez solide. Ce que j’aime bien aujourd’hui, comme un musicien qui écoute de la musique, c’est de lire des descriptions de nature, de grands espaces dans des romans. Quand c’est bien fait, je trouve ça inspirant, ça me donne envie de m’améliorer.

Considères-tu Servaz, ton personnage le plus connu, comme une extension de toi ? Ou, pas du tout ?

* Non. Il n’est pas moi. Il y a des aspects de moi en lui, notamment le côté techno phobique. Mais Servaz est très différent de moi. Nous n’avons pas les mêmes opinions, ni les mêmes goûts. Ce qui me permets de dire certaines choses d’ailleurs sur notre époque. Ce qui nous rapproche, c’est vrai, c’est qu’il est un homme du siècle passé. Comme moi. Je le rappelle : les opinions de mes personnages ne sont pas les miennes. Je veux qu’en me lisant les gens s’interrogent sur ce qu’ils pensent mais je n’ai pas de réponse toute faite, toute prête à offrir.

Pourquoi avais-tu nommé Servaz ainsi ? Tu t’en souviens encore précisément aujourd’hui ?

* Je cherchais un nom du sud-ouest au départ, et en fait je suis parti sur un nom plutôt savoyard en deux syllabes, plus doux, facile à retenir. Et puis, il y avait dans Servaz le verbe « servir. » J’ai pensé à la devise des policiers américains : « To serve and protect. » Et c’est comme ça que Servac est devenu Servaz. Quand j’ai commencé à écrire Glacé, j’avais le nom.

Quand on écrit, on a par principe tous les droits mais est-ce que tu t’interdis certaines choses pour Servaz ? Ou d’autres ?

* Les scènes dramatiques avec des enfants. Je n’en écris jamais. C’est ma limite. Je n’exclus pas un jour d’en écrire mais dans un autre registre. Je suis un grand admirateur de littérature fantastique, de Stephen King, Dan Simmons ou encore de Clive Barker. Un conseil : lisez les Livres de Sang !

Peux-tu te faire influencer par des lecteurs quand tu les rencontres sur des salons ou pour des dédicaces ? Des suggestions d’intrigues, de secteurs à explorer, de personnages nouveaux à inventer ?

* Non. J’ai des suggestions, des questions genre : « Servaz va-t-il mourir un jour ? » mais ce qui m’influence, ce sont surtout des événements dans l’actualité, des lectures que je peux avoir.

Qu’est-ce qui fait que tu écris plutôt un livre avec Servaz qu’un autre roman comme M, le bord de l’abîme ou Une Putain d’Histoire ?

* Si c’est avec Servaz, je peux difficilement aller dans quelque chose de très technologique comme pour M, le bord de l’abîmequi parlait des avancées de la Chine dans ce domaine. Je cogite d’abord sur une histoire par sur ce qui va arriver ou pas à Servaz même si dans les faits, j’ai écrit neuf roman dont sept où il est mis en scène. Dans N’éteins pas la lumière, il n’est pas au centre de l’intrigue.

Pourrais-tu travailler un jour sur une sorte de spin-off des romans avec Servaz centré sur un autre personnage aujourd’hui secondaire ?

* Je n’en sais rien mais oui, j’ai deux ou trois idées qui sont possibles. Avec ou sans Servaz. Je crois beaucoup à l’effet boule de neige pour une histoire, un roman. Elle roule, elle roule, et elle finit par agglomérer, prendre de la place, de la densité… Pour La Chasse, tout est parti de l’image de cette apparition, cette silhouette de nuit dans la forêt avec des bois de cerf sur la tête. A partir de là, tout s’est construit peu à peu.

Glacéavait été adapté par M6 sous forme d’un polar en six épisodes. Quel serait le prochain de tes romans porté sur un écran, petit ou grand ?

La Vallée est adapté pour une plateforme, ainsi qu’Une Putain d’Histoire qui devrait être relocalisée sur l’île de Groix, en Bretagne, dans le Morbihan alors que l’intrigue se déroulait du côté de Vancouver. J’ai même été sur place avec les producteurs pour faire des repérages. J’en serai le showrunner et le co-scénariste.

* Tu m’avais évoqué il y a longtemps quelques règles d’écriture auxquelles tu te conformais, genre ne pas utiliser Il/Elle ou ne pas commencer une phrase par un A majuscule, mais plutôt un S. Est-ce qu’elles sont toujours valables ? Les as-tu étoffées ?

* Non. Je me suis débarrassé de ce toc.

Et utilises-tu toujours des petits carnets pour des prises de notes, ou as-tu élaboré, amélioré ton système ?

* Non. Toujours des petits carnets en moleskine. Je les collectionne et les range par roman. Je les consulte pas mal, notamment pour La Chasse, puisqu’en raison du confinement, je ne pouvais pas me déplacer sur les lieux de mon intrigue. C’est là que je prends mes premières notes, que je m’imprègne d’une atmosphère, d’un lieu. Cela m’est indispensable. J’ai toujours utilisé ce système et je n’ai pas trouvé mieux. J’ai juste amené en plus le truc du roadbook.

Est-ce que le confinement t’a fait changé quelque chose dans ton écriture ?

* Pas particulièrement… Ah, si ! J’ai pris soin de masquer mes personnages, surtout les policiers. Je me souviens que je me demandais comment j’allais pouvoir les faire sourire et l’indiquer sans que cela paraisse étrange. Est-ce qu’on pouvait utiliser une expression qui se référait à une action que l’on ne pouvait pas voir ? Et puis, très vite, je me suis rendu compte que cela ne gênait pas la lecture, et que, oui, les gens pouvaient sourire derrière leur masque et que cela pouvait se ressentir. Comme La Chasse a été rédigée au moment du premier confinement, j’ai repris mon texte à l’automne 2020 suite à l’assassinat de Samuel Paty, le professeur d’histoire-géographie devant son collège de Conflans-Sainte-Honorine. Il fallait que cette affaire soit mentionnée dans le roman. Je trouvais ça important.

 

Interview Frédérick Rapilly (printemps/été 2021)

  • La Chasse, XO Editions, 472 pages, 21,90 E
Portrait Bernard Minier Photo @copyright Bruno Lévy

Portrait Bernard Minier Photo @copyright Bruno Lévy

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