Jacques Saussey "Mes héros, Daniel et Lisa, m'on été librement inspirés par Dennis Lehane

Jacques Saussey (France) est l'un des invités de Quai du Polar 2017 parmi plus de 100 auteurs invités.

Jacques Saussey : « Mes héros, Daniel et Lisa, m’ont été inspirés par Dennis Lehane… »

INTERVIEW. Sur les salons, il est toujours discret, poli, l’œil légèrement moqueur, un petit sourire en coin… A 52 ans, Jacques Saussey, révélé par Franck Thilliez qui le suit avec attention, est l’auteur de quatre livres, trois policiers (Quatre racines blanches, De sinistre mémoire, Colère noire *), un roman noir (Principes mortels *), et un plus d’une trentaine de nouvelles **. Il se prépare à publier un nouveau livre en 2014. Fan d’auteurs anglophones comme Ellory et de Lehane, cet ancien archer qui travaille dans la conception d’objets assistée par ordinateur écrit depuis plusieurs dizaines d’années mais ne s’est lancé dans un livre au long-cours qu’en 2008 (La mante sauvage paru sous le titre de Colère noire mais bien après leurs suites, Quatre racines blanches, De sinistre mémoire). Proche de Claire Favan (Le tueur intime, le tueur de l’ombre), ils ont pris l’habitude de se relire les manuscrits de l’un et de l’autre.

* parus aux Editions Les Nouveaux Auteurs. Ils seront bientôt disponibles en poche

** qui vont sortir en 2014 dans un ouvrage chez France Loisirs en même temps que Colère Noire.

Quel est le premier livre qui ait compté pour vous ?

Les aventures de Tarzan d’Edgar Rice Burroughs. Je devais avoir grand maximum 8 ou 9 ans. Je me souviens très bien de la couverture blanche avec ces dessins. Il y avait de l’aventure, l’Afrique, un homme droit et loyal, un héros classique, une sorte d’idéal du masculin tel que je l’imaginais.

En quoi est-ce que cela vous a inspiré plus tard dans vos romans ?

Dans mes livres, je ne sais pas mais ce personnage m’a inspiré dans ma vie tout court. J’ai voulu être un homme intègre, courageux… Pas forcément physiquement, mais moralement. Si j’ai réussi, je ne peux pas y répondre. Il faudrait demander à mon entourage.

Est-ce que la lecture était d’usage dans votre famille ?

Oui, j’ai été élevé dans un terreau, disons, propice. A 12 ou 13 ans, j’ai commencé à découvrir Agatha Christie, Frédéric Dard…

Etiez-vous un bon élève en cours de Français ?

J’étais plutôt du genre à être toujours hors-sujet. Je me rattrapais en grammaire et en orthographe.

Et étiez-vous du genre à déjà raconter des histoires à vos camarades ?

Pas vraiment. J’étais plutôt celui qui écoutait les autres en raconter. Mes histoires, je me les racontais simplement à moi-même.

Quel est le livre que vous auriez aimé avoir écrit ?

Seul le silence de R.J. Ellory. C’est un livre que j’ai tout simplement adoré, une sorte de phare de la littérature contemporaine. De plus, j’ai eu la chance de rencontrer l’auteur sur un salon littéraire et j’ai trouvé l’expérience réellement enrichissante. Je ne dis pas que c’est forcément mon idéal en écriture, mais j’ai vraiment une immense admiration pour ce livre qui, pour moi, va bien au-delà du polar. En ce moment, je suis plongé dans son dernier roman paru en France, Mauvaise Etoile, et je me régale.

Pendant vos phases d’écriture, quels sont vos rituels… En avez-vous, d’ailleurs ?

Je ne suis pas très gri-gri, rituel, etc. J’écris dans le train, une heure à l’aller, une heure au retour, lors de mes trajets professionnels quotidiens. Je travaille à Paris, mais je vis dans l’Yonne. La seule chose, c’est que j’écoute de la musique assez forte pour m’isoler, me créer une bulle. Généralement, j’écoute du rock un peu dur : Deep Purple, du Led Zeppelin ou du Pink Floyd. Mozart, ça manque d’énergie. C’est toujours de la musique en anglais pour ne pas distrait par les paroles, et des morceaux que je ne connais bien pour ne pas être en train de me demander ce qui passe entre mes oreilles.

Vous avez donc bien des rituels… Musicaux.

Si vous voulez, mais la musique ne me commande pas ce que j’écris. Sauf… Sauf, c’est vrai, sur mon prochain roman, Les yeux de pierre (dont l’ancien titre était L’enfant aux yeux d’émeraude). Là, je me suis mis en boucle la cantate Carmina Burana *** (de Carl Orff) pour rédiger le final du livre. Je voulais que la musique colle, adhère avec la dureté de la scène. C’est la seule fois où j’ai eu, disons, un rituel.

Vous avez choisi d’emblée Carmina Burana ?

Non, j’ai tâtonné avec Wagner, mais La chevauchée des walkyries ne correspondait pas. Cela partait bien pourtant. Mais je ne sais pas… Le rythme, la vitesse n’allait pas avec ce que j’écrivais.

Lorsque vous écrivez, vos personnages existent-ils physiquement dans votre tête ? Est-ce que vous vous les représentez de façon très précise ?

Je les ressens, mais je ne les « vois » pas. Par exemple, mon héros le policier Daniel Magne (présent dans Quatre racines blanches, De sinistre mémoire et Colère noire) me semble un peu flou quand j’y pense. Son adjointe, Lisa Heslin, est au contraire beaucoup plus présente. Du moins, pour moi. Mais ce sont tous les deux des constructions mentales de toutes pièces. Ce qui est vrai par contre et que je reconnais volontiers, c’est qu’ils ont été influencés par les personnages de Patrick et d’Angela, le duo de détectives imaginés par l’auteur américain Dennis Lehane (présents notamment dans Un dernier verre avant la guerre…). La différence d’âge entre Daniel et Lisa est simplement plus grande parce que je voulais qu’il y ait de l’électricité dans leur relation, des frictions.

Si vos romans policiers étaient portés à l’écran, petit ou grand, qui verriez-vous pour les incarner ?

Pour Daniel, je n’ai pas d’idée. Pour Lisa, c’est plus précis. J’ai repéré dans Coco Chanel, une actrice russe dont je ne me souviens pas le nom (Barbora Bobulova ? Elle est en fait slovaque). Dans la forme de son visage, je retrouve le personnage de Lisa. Elle n’est pas forcément jolie, mais elle dégage beaucoup de charme. Sinon, j’avais aussi pensé à Emma de Caunes. Elle a le physique de mon héroïne.

Et si c’était un film américain ?

Alors là… Aucune idée. L’Amérique, j’en suis très loin.

Vous avez pratiqué l’arc en compétition à haut niveau. Est-ce qu’il y a des similitudes avec l’écriture ?

Oui. On est seul avec son arc comme on est seul avec sa plume. C’est un sport très individualiste où le seul et unique adversaire, c’est soi-même.

Vous considérez donc qu’écrire, c’est un peu comme se battre ?

Non, c’est faire émerger un morceau de soi-même. Le but ultime d’un archer, c’est de planter trois flèches dans le mille. Pour un auteur, c’est pareil. On veut toucher le lecteur. Tirer une flèche, c’est comme écrire un mot. On le fait dix fois, cent fois, mille fois… A chaque fois, on est le même mais l’on est dans un « soi » différent. Une flèche dans le mille, c’est un résultat tangible. Un lecteur touché, c’est moins… Visible ?

Une cible émouvante en quelque sorte ?

Exactement.

Dans vos romans, beaucoup d’endroits sont visités. Je pense dans Colère noire à l’Afrique du Sud, l’Amérique… Est-ce que vous vous rendez sur place ?

A chaque fois. C’est essentiel pour moi de voir, de sentir. Il n’y a que pour Colère noire où je n’ai pas été en Afrique du Sud et j’ai travaillé avec des photos et Internet. Sinon, je suis allé en 2007 à New York en voyage de noce lorsque je me suis remarié. Je n’avais pas encore écrit mon premier roman mais j’ai fait mes repérages.

Votre femme était au courant ?

Non, non… Je ne lui avais rien dit. Je ne savais pas qu’un jour je finirai un roman. Pour Quatre racines blanches, j’avais repéré cet escalier à Montréal. J’ai couru comme le personnage pour éprouver les limites de la scène que j’avais imaginée. Il faisait si froid. Le Saint-Laurent charriait des tonnes et des tonnes de glace.

Comment travaillez-vous vos histoires ? Avec un plan sur les murs d’une pièce de votre maison ?

Je prends beaucoup de notes vocales avec mon IPhone. Pas écrites. Pour le 6e roman que je prépare qui est bâti sur une construction de temps très rapprochée, j’ai affiché les chapitres au mur pour que je puisse ajuster les scènes dans le léger décalage que je souhaitais. J’ai encore pas mal de boulot pour rendre cela efficace.

Et les photos ?

Non, je n’en utilise pas.

Et sur quel support écrivez-vous ?

Aujourd’hui sur ordinateur mais j’ai commencé avec une machine à écrire dont le bruit énervait tout le monde. Je suis passé sur un vieux Mac, puis sur PC. Il a crashé. Et je suis revenu sur Mac.

Avant de vous lancer dans un roman, avez-vous consulté des « méthodes » d’écriture comme le font souvent les débutants pour se rassurer ?

J’avais acheté un bouquin qui est resté sur une étagère. Je ne crois pas l’avoir jamais ouvert. Le seul qui m’ait vraiment servi, c’est Sur l’écriture de Stephen King. Ce n’est pas réellement un manuel mais un livre sympa rempli de petits conseils assez pratiques.

Vous souvenez-vous de vos notes au bac de français ?

Oui. J’ai eu 11 à l’écrit et 10 à l’oral. C’est la seule fois de l’année où j’ai eu la moyenne.

Propos recueillis par Frédérick Rapilly (octobre 2013)

*** Cette musique a été utilisée au cinéma dans Excalibur de John Boorman, The Doors et Tueurs –Nés d’Oliver Stone. Dans Histoire de l’alchimie, Serge Hutin a écrit à propos de Carmina Burana qu’il s’agit : « d'une musique aux effets immédiats et volontairement étranges sur le psychisme où l'on retrouve (ce n'est sûrement pas un hasard) des motifs sacrés - véritables mantras tantriques - d'Asie centrale (…) »

Jacques Saussey "Mes héros, Daniel et Lisa, m'on été librement inspirés par Dennis Lehane
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