Paul Colize : « Mes livres sont comme des films qui se déroulent sous mes yeux... »

Il a été la révélation polar de l’année avec « Un long moment de silence » (aux éditions La Manufacture de Livres) *, mais avait déjà harponné bon nombres de lecteurs avec l’érudit et rock’n’roll « back Up. » L’immense auteur belge (1,88 m selon ses dires) met beaucoup de lui dans ses romans, et manie l’autodérision avec délectation. Saviez-vous qu’il se fait prendre en photo dans des tenues de sports qu’il n’a jamais pratiqués, ou encore qu’il vit à Waterloo, « seul village de Belgique que tous les Français connaissent. » Mais est-ce bien vrai ?

Avez-vous un souvenir précis d’un roman qui t’ait frappé lorsque tu étais enfant ou adolescent ?

Pas vraiment… J’ai commencé à lire frénétiquement des polars à 8 ou 9 ans. Ma grand-mère vivait chez nous, fumait du tabac et lisait du polar, du polar et encore du polar. Un par jour. Elle m’envoyait les chercher à la bibliothèque avec interdiction de les ouvrir. Elle me criait : « Prends ceux avec la couverture jaune et noire. » Forcément, j’étais tenté. Je grappillais deux ou trois pages sur le chemin du retour, puis je me suis mis à vraiment les lire. C’est le polar qui a fait mon éducation. Je dévorais Chandler, et tous les Américains…

Et aucun en particulier qui vous ait marqué plus que d’autres ?

Il y en a trop. J’étais tellement boulimique. Plus tard, il y a eu un livre : « Un long dimanche de fiançailles » de Sébastien Japrisot. D’ailleurs, si mon dernier roman est baptisé « Un long moment de silence », ce n’est pas par hasard. Avec ce roman, j’ai pris une claque… Formidable. Après, j’ai aussi lu « L’Eté Meurtrier » et les autres, mais c’est ce livre que je retiens.

Etiez-vous un petit garçon ou un ado qui racontait des histoires ?

Je n’ai jamais pensé à écrire avant le début des années 2000. Moi, j’étais un lecteur et je pensais qu’il y avait un fossé infranchissable pour devenir auteur. C’est comme Eric Clatpon en concert. J’y vais, j’écoute, mais à aucun moment je ne me dis que je peux monter sur scène et jouer de la guitare. A l’école, je n’étais pas très doué en français. J’avais quelques idées pour les rédactions, mais j’étais une plaie en grammaire et en orthographe. Par contre, je racontais des blagues et les films que j’avais vu quand j’ai eu 18 ou 19 ans. Je mettais du suspense et mes amis aimaient bien. Je crois que je racontais bien les films.

Quel genre d’études as-vous commencé ensuite ? Plutôt littéraires ?

Pas du tout. J’ai arrêté l’école à 18 ans sans même un diplôme. Le seul que je possède, c’est un certificat de l’armée et une médaille, tous les deux obtenus pendant mon service militaire. J’ai travaillé très tôt, à 18 ans.

Qu’est-ce que vous faisiez ?

Si vous avez lu « Back Up », vous y retrouvez mon passé. J’étais employé chez Peugeot pour les pièces de rechange. J'ai utilisé ce passé dans mon roman. Tous mes livres sont parsemés de petits détails autobiographiques piochés ici ou là.

Justement… Où écrivez-vous ?

J’ai un bureau dans ma maison en Belgique dans lequel j’écris 85% de mes textes… Sinon, le reste, c’est lors de mes voyages, de mes déplacements professionnles.

Pouvez-vous le décrire ?

Si vous voulez… J’habite dans une vieille maison. Le bureau est au premier étage. Je l’ai installé en suivant les règles énoncées par Stephen King dans « Ecriture. » Je rédige donc porte ouverte, je corrige porte fermée.

Mais encore ? Avez-vous des Post-It au mur ? Des fenêtres ?

Rien. Je n’ai rien. Aucun Post-It. Pas de photos, pas de plans, pas de notes. Je n’ai qu’un écran de Mac 27 pouces car j’aime bien mon confort. J’évite ainsi toute distraction. Quant aux fenêtres, elles sont au nombres de deux : l’une à droite, l’autre à gauche.

Avez-vous une routine d’écriture qui s’est mise en place au fil des livres ?

Aucune. J’écris quand j’en ai envie. Je ne m’impose rien. Pas de nombre d’heures, pas de nombres de signes minimum par jour. J’écris quand je le sens et quand j’en ai la possibilité.

Vous considérez l’écriture comme un art ou un artisanat ?

Qu’entends-tu par là ?

Un artiste attend l’éclair de génie, un artisan ponce encore et encore la pièce sur laquelle il travaille…

Alors, je suis un artisan. Je ne travaille que dans le plaisir, et pourtant je ne suis pas du genre à être satisfait de son premier jet. Je corrige un passage 45 fois. Je n’arrête jamais d’y revenir. S’il n’y avait pas mon éditeur, je ne lâcherai jamais mes textes. Je trouverai toujours quelque chose à améliorer, peaufiner.

Comment avez vous pu alors être édité la première fois ?

Grâce à un blog, Pol’Art Noir. En 2005, il proposait une rubrique sur les livres auto-édités. Je lui ai soumis mon premier manuscrit après m’être excusé 50 000 fois, et j’ai eu le plaisir d’être retenu et d’avoir ma première chronique. Je me suis dit : « C’est bon, c’est OK, je peux montrer ce que j’écris aux gens. »

Avant de vous lancer dans l’écriture de polars, aviez-vous consulté des méthodes, des guides genre « Le thriller pour les nuls » ?

Le seul que j’ai lu, c’est « Ecriture » de Stephen King mais j’avais déjà commencé à écrire des livres lorsque je l’ai ouvert.

Vous écrivez sur la musique, en particulier sur le rock (« Back Up »). Est-ce que vous écrivez aussi en musique ?

Non, il me faut le plus grand silence. La musique me perturbe, me distrait.

Vos personnages… Sont-ils réels ou inventés, ou un peu les deux à la fois ?

Il existe tous. Allez, j’exagère, j’ai du en inventer deux, trois… Mais je prends des gens qui existent : une façon de parler, une coiffure, un trait de caractère…

Est-ce que vous cherchez à rencontrer les personnages qui seront dans vos livres ou viennent-ils à vous ?

Les deux systèmes cohabitent chez moi en pleine harmonie. Il m’arrive de rencontrer quelqu’un, et de me dire : « Celui-là, je vais le foutre dans un de mes bouquins. Il va voir ce qu’il va voir.»

Vous prenez des notes ?

Non, je les mets dans ce que j’appelle mon catalogue. Ma mémoire, quoi. Certaines personnes se sont reconnues.

Et ?

Rien. De temps en temps, il m’arrive de régler mes comptes avec un gars qui m’a bien tapé sur le système.

Et vous ? Vous mettez-vous dans vos livres ?

J’y suis tout le temps. Je vous ai évoqué « Back Up », mais le personnage de Stanislas Kervyn dans « Un Long Moment de Silence », c’est moi poussé à l’extrême, une caricature. Qu’est-ce que je serai devenu si j’avais laissé mes plus mauvais instincts prendre le pas sur le reste ? Par contre, dans mon prochain roman, il ne sera nul part question de moi. Pour une fois.

Si je vous en donnais la possibilité, quel livre auriez-vous aimé avoir écrit ?

Je vous l’ai déjà plus ou moins dit : « Un Long Dimanche de Fiançailles » de Sébastien Japrisot.

Est-ce que, comme beaucoup d’auteurs, vous avez des tics, des rituels ?

Aucun. J’allume mon ordinateur et je me mets au travail.

Vous avez toujours écrit directement sur ordinateur ?

Toujours… Sauf mon tout premier livre que j’ai rédigé sur un carnet à spirale. D’ailleurs, où est-il ? (Inquiet, il se met à le chercher pendant quelques secondes avant de pousser un cri de victoire) C’est bon, je l’ai !

Avant d’écrire un livre, préparez-vous un plan ?

Jamais. J’envisage cela comme un film… Je suis installé devant un écran dans une salle de cinéma, et je décris le film que je vois se dérouler devant moi. C’est comme si je transcrivais ce qui se passe à l’image. Je ne cherche pas à faire de jolies phrases. J’essaie d’utiliser le moins de mots possibles. Mes livres sont en fait des films. Il y a certaines scènes, c’est comme si elles étaient tatouées dans mon cerveau. Je prends énormément plaisir à les raconter.

Et si vos livres devenaient des films ?

Il ne faudrait pas me demander à les superviser. Je risquerai trop d’être déçu de leur transcription sur grand ou petit écran.

Mais si cela arrivait que « Back-Up », « Un Long Moment de Silence » ou encore un autre de vos romans soit adapté…
Je verrai bien l’acteur Michael Fassbender (« Shame », « A Dangerous Method ») dans le rôle de Stanislas Kervyn. Il a ce côté arrogant, froid… Voilà, le casting est fait ! Il ne reste plus aux producteurs qu’à le payer !

Egypte, Pays-Bas, Allemagne… On voyage un peu dans vos livres. Est-ce que vous vous rendez sur place par souci de réalisme ?

Je me sers de mes déplacements professionnels. Par exemple, je me rends à Montréal pour un salon. Vous pouvez être sûr qu’il y aura une scène ou deux qui s’y dérouleront dans un prochain roman. Je suis un opportuniste. Si « Back-Up » s’achève à New York, c’est tout simplement que mon travail m’y a mené. A Montréal, je prendrais des photos pour les décors, les ambiances.

Je reviens sur la notion de plan… Vous n’avez vraiment aucune idée de ce que vous allez écrire lorsque vous vous lancez dans un nouveau roman ?

Je ne sais jamais ce qui va arriver. Je vous le dis clairement, ça me ferait bien chier d’avoir un plan. C’est comme si je partais pour un tour du monde. Je sais de quelle ville je pars. Je sais plus ou moins dans quelle ville je vais arriver, et quand. Entre ces deux destinations, je me fous un peu des villages que je traverse… Ce qui compte, c’est le voyage. Les personnages ont leur vie propre. C’est pour cette raison aussi que je n’ai pas de personnage récurrent dans mes romans.

Et donc, aucun rituel ?

Aucun. Par contre, j’ai des règles très personnelles.

Quelles sont-elles ?

J’ai des mots interdits : or, car… Je n’ai pas de verbe déclaratif (ex : dit-il, déclara-t-il….). Les dialogues sont amenés par un contexte. Je chasse les adverbes en … ment. Je traque les « R » pour que le rythme de la phrase soit plus fluide. Je lis aussi mes textes à haute voix pour vérifier la musique de la phrase. Lorsque j’ai écrit sept mots dans une phrase, je vais me mettre au défi de la faire en six. Il m’est aussi totalement interdit de commencer une phrase par « Mais » ou « Et. » Qui le voit ? Personne, peut-être. Moi, je le sais. Aux Etats-Unis, les auteurs n’hésitent pas à utiliser des services de rewriting pour améliorer leurs textes.

Paul Colize, merci… Quel sera le titre de votre prochain roman ?

Il est provisoire : « L’Avocat, le Nain et la stripteaseuse. » C’est une comédie dont le titre renvoie à des livres de Japrisot (« La Dame dans l’auto avec des lunettes et un fusil »). Il est prévu pour le 20 mai 2014.

Interview Frédérick Rapilly

(Par téléphone, le 20 novembre 2013)

* Prix Landerneau Polar 2013, Prix Boulevard de l’Imaginaire 2013

Paul Colize : « Mes livres sont comme des films qui se déroulent sous mes yeux... »
Le bureau de Paul Colize dans sa maison de Warteloo en Belgique. Un ordinateur 27 pouces, et deux fenêtres...

Le bureau de Paul Colize dans sa maison de Warteloo en Belgique. Un ordinateur 27 pouces, et deux fenêtres...

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