Olivier Norek " Sans l'Autre, je ne suis rien... "

PROFILAGE (2024) *. Enfant, il s’était rêvé astronaute ou champion de skate-board. Plus tard, il s’est imaginé suivre les traces des Daft Punk. En huit romans, vendus à plus de deux millions d’exemplaires, dont les récents Les Guerriers de l'Hiver (2024), nommé au Goncourt, et Dans les brumes de Capelan (2022), en cours d'adaptation en série télévisée, l’ancien capitaine de police devenu auteur de polars s’est réinventé une autre vie : romancier, écrivain… Est-ce que ce sera la dernière ?

* (réactualisation d'un article paru en 2022)

 

Quand il débute l’écriture proprement dite d’un nouveau roman, Olivier Norek commence par recouvrir la double baie vitrée qui fait face à son bureau de fiches en bristol rectangulaires. Jusqu’à plonger dans une demi-pénombre le petit appartement d’angle, cerné d’une terrasse, où il habite à Pantin, en banlieue nord-est de Paris. Il y vit seul. C’est ainsi : une fiche, un chapitre. Avec chaque fois, indiqué dessus avec soin, l’évolution de l’action, de ses personnages. Quand Olivier pense que tout est prêt, qu’il est allé au bout de son processus, il décolle la première fiche et il se met à écrire sur son ordinateur. Celui-ci est posé sur un grand plateau en bois clair, doux au toucher. Une fois le chapitre fini, Olivier repousse son fauteuil, se lève et il déchire la fiche. Et ainsi de suite. Voilà pour le rituel. Peu à peu, la baie vitrée reprend sa fonction de fenêtre, la lumière revient par les trous laissés par les bristols décollés, l’appartement s’éclaircit et Olivier peut, de nouveau, apercevoir les appartements qui l’entourent, les toits aussi. La vue n’a rien d’extraordinaire. C’est celle d’une petite ville de banlieue, traversé par le canal de l’Ourcq tout proche, avec des immeubles autour ne dépassant guère six à sept étages, mais la symbolique de la pièce d’écriture qui s’éclaircit au fur et à mesure que le livre avance, est forte. Quand on fait la remarque à Olivier, il fait mine de s’en étonner. « Ah oui, la lumière revient… » On lui rappelle les paroles en anglais d’une chanson de Leonard Cohen, Anthem, à laquelle on pense sur le moment. Elle figure sur l’album The Future et a été utilisée pour illustrer par Olivier Stone pour accompagner des images de son film Tueurs-Nés. « There is a crack a crack in everything / That’s how the light gets in… » (Il y a toujours une fêlure quelque part / C’est par là qu’entre la lumière…) L’ancien policier devenu romancier (7 romans publiés, à ce jour) sourit. Il précise, citant de mémoire Michel Audiard : « Oui, c’est ça : « Loués ou heureux soient les fêlés, car ils laisseront passer la lumière. » Olivier parle-t-il alors de lui, ou de ses personnages ? Sur le moment, on oublie de lui poser la question mais on a une petite idée sur cette question. Quand il a emménagé dans cet appartement, Olivier Norek était encore policier. Il avait repeint les lieux en rouge, oui, en rouge, et son bureau était alors posé face à un mur. C’est là, en grand partie, qu’il a écrit ses premiers romans. Aujourd’hui, tout a été repeint en couleurs claires et réaménagé. Il montre des voilages fixés sur des tringles coulissantes au plafond qui permette de délimiter des espaces. Il y a un canapé qui semble confortable, le lit où il dort est escamotable d’après ce que je comprends, et il y a un tapis de yoga en caoutchouc étendu au sol. Il fait face à un panneau effaçable où Olivier inscrit des indications au feutre pour élaborer ses intrigues. Ce jour-là, il semble vierge. A quoi rêvait Olivier, enfant, adolescent ? « Dès mes 16 ans, je demandais à mes parents à quoi je vais servir. Quelle va être ma place ? J’ai écrit un livre, Le Lapin Shérif, sans doute la plus grande enquête sur moi-même, qui est l’histoire d’un gamin obligé de mettre un déguisement de lapin shérif pour se sentir fort, intéressant et merveilleux. Cela m’est arrivé. Ma mère était directrice d’école, mon père énarque, et on déménageait très souvent. Mon premier vrai ami, je ne me le suis fait qu’à l’âge de 17 ans. Quand j’étais petit, à chaque fois que j’arrivais dans une nouvelle école, un nouveau collège, je me retrouvais dans la cour de récréation avec un bouquin, un walkman autoreverse sur la tête. J’avais toujours ce problème pour me placer, m’intégrer dans un groupe. J’ai rapidement compris que si je faisais quelque chose pour les autres, le regard que l’on poserait alors sur moi me donnerait ma place dans la société. J’ai commencé par donner des cours gratuitement aux élèves en retard. Cela m’a beaucoup plu, et puis j’ai continué en faisant des missions humanitaires. Et j’ai intégré de nouveau cette idée que si j’effectuais un travail tourné vers les autres, je trouverai immédiatement ma place. Mais il faut bien comprendre que tout ce trajet n’est en réalité que du pur égoïsme enrobé, noyé de générosité. » Après son bac, le jeune homme, découragé par la longueur des études et plus motivé par l’action, ne se voit pas devenir chirurgien thoracique, ni psychiatre, et s’engage dans l’armée. Puis dans la police. « Je suis devenu gardien de la paix, et c’est là que j’ai vraiment commencé à devenir qui je suis après m’être analysé, décortiqué, compris, et accepté, parce que je pouvais faire quelque chose pour l’Autre. » Une sorte de névrose apprivoisée par Olivier Norek, qui, poussée à son paroxysme, l’a conduit à devenir auteur de romans. « Si je n’ai pas mes lecteurs, ou mes lectrices, livre-t-il dans un aveu complètement assumé, je ne suis rien du tout. Si ceux-ci, ou celles-ci, n’ouvrent pas mon bouquin, je n’existe pas et mes histoires n’existent pas. Après quatre ans de psychanalyse, je suis complétement conscient de cela… » Un écrivain qui écrit donc pour se sentir… Vivant ? Utile ? Aimé ? Les trois adjectifs sont sans doute tous aussi vrais, et importants. Olivier Norek l’admet. Il est un romancier qui écrit pour se soigner, et soigner les autres. Peut-être aussi pour se réparer, et réparer les autres.

Et que penserait l’enfant qu’il était s’il découvrait aujourd’hui l’adulte qu’il est devenu ? L’auteur de Code 93, Surface, ou du récent Dans les brumes de Capelan sourit et répond sans répondre : « Ah… Petit Olivier s’imaginait star du skate-board, astronaute, spéléologue, professeur d’histoire-géographie, flic, capitaine de police, écrivain… Dans la vie, on a droit à quoi ?  Deux/trois scénarios pour pouvoir se réinventer ! Ce n’est pas tant que cela. Qui sait ? Peut-être qu’à 60 ans, je serais devenu un gentleman-farmer en train de m’occuper de mon verger, de fabriquer ma gnôle. Je ne sais pas, mais si cela devrait être ma fin, je signerais tout de suite. » Mais pour revenir à la question initiale ? « Si Petit Olivier qui était dans un coin de la cour, assis, incapable de se faire des copains, voyait ce que je vis aujourd’hui en dédicaces, ce que je vis dans les salons littéraires, ce que je vis aussi avec ce que j’appelle ADN, les auteurs du noir, si Petit Olivier pouvait entrevoir tout l’amour que je reçois, il aurait sûrement osé se relever plus tôt et il serait allé voir les autres en disant : « Tu ne veux pas être pas mon pote ? Tu ne veux pas jouer au foot ? Même si je déteste le foot ! Ca l’aurait galvanisé, ça l’aurait rendu plus fort même si je ne veux rien changer de tous mes échecs, de toutes les gifles que je me suis prises, de toutes mes colères, de toutes mes larmes versées. Je ne veux rien changer de tout ce que j’aurai voulu changé, car tout ce qui m’est arrivé, en bien ou en mal, fait que je suis celui que je suis… Aujourd’hui. » Il ajoute, avec un peu de forfanterie qu’il compense aussitôt par un sourire en coin, pensant à quelques romanciers et amis qu’il admire : « Je suis à un stade de ma vie où je ne veux rien réécrire, rien changer même pour avoir la vie de Franck Thilliez, de Bernard Minier ou de Maxime Chattam, car ce n’est pas grave, je prendrai mon temps, mais je vais les grignoter les trois... » S’il n’avait pas écrit et publié son premier roman policier, Code 93, en 2013, Olivier serait sans doute encore policier, probablement commandant. Il explique : « J’étais aux crimes de nuit, j’entendais les premiers témoins, je relevais les premiers indices sur la scène de crime, je faisais le début du boulot et puis le soleil se lève, et on passait ça à la Crim’. Moi, j’aurai aimé aller jusqu’au bout de ces enquêtes, et je précise bien que j’ai travaillé sur plusieurs centaines d’entre elles. Mais moi, ce que j’aurai aimé, c’est faire partie du groupe Crim’. Le deuxième groupe auquel j’aurai aimé appartenir, c’était celui de la cyber-pédophilie. J’ai connu ce bonheur intense d’arrêter des violeurs et des violeurs en série, et de se dire que dès que tu as mis la main sur eux, enfin, il y a un peu plus de sécurité dans les rues. J’aurai adoré faire la même chose pour la pédophilie, car c’est évidemment, l’un des crimes les plus abjects qui existe. Le dernier service dont j’aurai voulu faire partie, c’est le SCTIP, le Service de Coopération Technique International Police. Là, on vous envoie à travers le monde pour des missions de sécurité, d’enseignement, comme le fait Laurent Guillaume (policier, et auteur récemment d’Un Coin de Ciel Brûlait, chez Michel Lafon). J’ai le goût de voyage. Par le passé, notamment pour mes missions humanitaires, je suis allé en Guyane, j’ai fait un crochet par le Surinam, j’ai passé du temps en ex Yougoslavie, et j’ai aimé ça. Avec ce service, si j’étais resté flic, j’aurais aimé pouvoir rencontrer ainsi d’autres personnes, d’autres cultures. » Ce que l’on sait moins sur Olivier Norek, c’est qu’avant de devenir romancier, écrivain, il s’était imaginé un tout autre plan B à sa vie de policier. « L’écriture, c’est juste une opportunité que j’ai saisie. J’ai fait de la musique pendant longtemps et j’imaginais que ce serait ma porte de sortie. Je pensais troquer une vie de violences pour quelque chose de plus artistique. » Olivier Norek musicien ? Oui, pianiste et saxophoniste. On l’imagine alors faisant du jazz ou du funk. La réponse fuse, étonnante. « Non, je faisais de l’electro. » De 2003 à 2013, Olivier faisait alors partie de La Franche Touche. « On a fait quelques sets en boîte de nuit, et quelques concerts dont un gigantesque à Marseille lors du festival Marsatac (où ont été programmés, entre autres, Vitalic, Agoria, Public Enemy, Etienne de Crécy, Zombie Zombie…). Et puis il y a eu ce concours de nouvelles anonymes auquel j’ai participé. Et puis il y a ce jury qui pensait que ma nouvelle, vu sa sensibilité, avait été écrite par une femme, qui m’a ensuite conseillé d’écrire sur mon quotidien un peu rugueux de policier dans le 93, et c’est comme ça que sont nés les personnages de mon premier roman. » Pour ce faire une petite idée du style de musique de La Franche Touche, on cherche sur la Toile et on découvre dans des anciens posts d’Olivier sur sa page Facebook, un titre nommé Mécanisme. Ou encore sur You Tube, un autre morceau d’electro rock baptisé Magna Carta. Dans les crédits, on découvre un « Merci à Olivier. » La vie trace parfois des sillons bizarres ou vous fait emprunter des voies inattendues.

Pour le moment, même si les Daft Punk ont laissé leur trône vacant, Olivier Norek ne semble pas vouloir reprendre le flambeau de la French Touch mais plutôt continuer à écrire. Et à voyager. Après avoir passé quelques semaines sur l’archipel de Saint-Pierre et Miquelon pour peaufiner l’écriture de Dans Les Brumes de Capelan, le Pantinois (nom donné aux habitants de Pantin) lorgne vers le nord de l’Europe pour son prochain roman (cf. Les Guerriers de l'Hiver, paru en 2024). « Je ne voyage pas pour voyager, j’y vais pour ressentir des choses et pouvoir les écrire. En gros, si l’un de mes personnages est en T-shirt et grelotte, je veux éprouver la même sensation. En fait, je me demande : « A quoi bon aller dans un endroit merveilleux tout seul ? A quoi bon vivre quelque chose d’incroyable tout seul ? » J’ai besoin de partager. Et peut-être que si je ne pouvais pas partager toutes ces choses, je resterai dans mon canapé à regarder des séries… Partager, c’est mon moteur. C’est ce que fait que je me lève à 2h du matin, et que je file vers un ouragan sur un vélo à Saint-Pierre et Miquelon pour aller le voir, et le raconter aux autres. Et on revient donc sur ma névrose : sans l’Autre, je ne suis rien. »

Frédérick Rapilly

 

A lire

Les Guerriers de l'Hiver (2024) éditions Michel Lafon

Dans les brumes de Capelan (2022) éditions Michel Lafon

Le Lapin Shérif (2021), bande dessinée en collaboration avec Marcel Pixel, paru chez Michel Lafon

Olivier Norek " Sans l'Autre, je ne suis rien... "
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