Olivier Norek « J’étais nul en français. J’ai eu 5/20 au bac… » 

 

INTERVIEW. Il a le regard bleu perçant, ou peut-être pas, mais c’est en tous cas ce qu’il dégage. Perçant… Avec ce petit air narquois ou plutôt taquin qui ne semble jamais le quitter. Auteur de quatre romans remarqués (Code 93, Territoires, Surtensions, Entre Deux Mondes, tous publiés chez Michel Lafon), Olivier Norek est lieutenant de police à la SDPJ 93, un département qu’il a abondamment exploré dans ses livres. Depuis qu’il est devenu auteur, l’enquêteur s’est mis en disponibilité pour écrire ses histoires où se mêlent le sordide et le touchant, toujours appuyé sur un contexte social solide. Dans ce café de Pantin, au Nord Est de Paris où il vit, il parle à toute vitesse mais avec précision…

 

 

Est-ce que tu te souviens du premier livre qui t’a vraiment marqué ? Et quelle scène en particulier ?

 

D’emblée, je te réponds : Le Cygne de Roald Dahl (écrivain gallois, connu aussi pour Charlie et la chocolaterie, ndlr). Je devais avoir douze ans et l’histoire racontait comment des adolescents partaient abattre un cygne à la carabine. Ma mère me l’avait fait lire. Je me souviens d’une ambiance à la Stand By Me comme dans le film tiré du livre de Stephen King.

 

Quel a été le déclic pour te lancer dans l’écriture d’un roman ? Tu étais bon élève en français ?

 

Tu parles… J’étais nul. J’ai eu 5/20 au bac. L’écriture ne m’intéressait pas plus que cela. Tout est venu d’un mail du site Auféminin.com auquel mon ex était abonnée. Il est arrivé sur ma boîte en annonçant un concours de nouvelles. Je l’ai effacé. Pendant une opération de police, il est réapparu sur mon téléphone portable. J’ai vu ça comme un signe. J’ai tapé avec deux doigts un texte baptisé Demain est un autre jour que j’ai envoyé. Deux mois après, j’ai appris que j’avais gagné un prix. Un éditeur, Michel Lafon, m’a encouragé à écrire un livre. Comme j’étais flic dans le 93, j’ai écrit sur ce que je connaissais. J’ai une très forte conscience des moments qu’il faut saisir. J’ai travaillé pendant un an, tous les soirs de 22 heures à 3 ou 4 heures du matin. C’est devenu Code 93, mon premier roman.

 

Aurais-tu pu écrire autre chose qu’un premier roman policier ?

 

Personne ne pourra le dire. Je suis policier, j’écris sur ce que je connais. Voilà… Maintenant avec Entre Deux Mondes, mon dernier livre qui est plus sociétal, plus politique, j’essaie de montrer que je peux faire autre chose. Tout ce que je sais, c’est qu’il me faut généralement un sujet fort, social, pour que je me lance. Pas toujours. Le prochain sera justement sans sujet fort social. Se lancer dans un polar, c’était comme une béquille. Je connais les procédures policières, les avocats, les juges, et les bandits (Olivier dit bien « bandits »). Cela me guide dans mes histoires. Et écrire un polar, quelque part, c’est suivre la procédure judiciaire. C’est un garde-fou. Tu traques, tu interpelles, tu mets en garde à vue, tu fais passer des auditions... Maintenant, j’aimerai aussi écrire des histoires qui ne sont pas des polars, de la science fiction pour les ados par exemple… J’ai déjà mes idées.

 

Où écris-tu aujourd’hui ?

 

J’ai deux endroits. Quand je suis lancé, c’est chez moi (dans son appartement à Pantin, au nord est de Paris). J’ai un bureau avec une fenêtre qui donne sur une cour intérieur. Je vois des arbres, le ciel. J’écris sans musique parce que pour moi ça raconte déjà une histoire, et ça me parasiterait celle que je veux mettre en place, les sentiments que je veux insuffler à mes personnages. J’essaie toujours d’avoir un équilibre. Je ne veux pas basculer dans le mièvre. Sur mon bureau, il y a absolument toute la documentation dont j’ai eu besoin depuis le début. A la page 1, le bureau est clean et à partir de la page 400, 450, il devient un tas. Un tas de livres, de journaux, de photos… Et comme il déborde rapidement, j’utilise aussi le mur en face de moi. Il est rouge sang. J’y colle des post-it qui composeront au fur et à mesure le squelette du livre. A la fin, normalement, j’ai devant moi 100 à 150 petits bouts de papier. Le tout ressemble au mur d’un policier ou d’un serial-killer, parce qu’en fait, j’écris comme j’enquête. Je n’invente rien, je ne caricature rien, je ne prends que des choses du réel. Et à la fin, j’en fais un roman. Comme dans une enquête de police, quand je connais pas un sujet, je m’adresse à des professionnels, je passe du temps avec eux.
 

Peux-tu me décrire un peu plus précisément l’endroit où tu écris ?

 

La fenêtre est à ma gauche. Le mur est en face. A ma droite, j’ai une grande bibliothèque. Le bureau est une grande table en verre dépoli. Et j’ai un fauteuil que je devais changer à la fin de Territoires. Il a rendu l’âme, a perdu sa mousse de partout. Et puis, je me suis mis à écrire Surtensions dessus et c’est devenu compliqué d’arrêter… Et puis, cette saloperie de putain de fauteuil de merde est devenue quelque chose d’important. J’ai aussi écris Entre Deux Mondes dessus. Il est toujours dégueulasse mais maintenant, c’est devenu mon fauteuil d’écriture. J’en suis le premier embêté, parce que j’aimerai bien avoir un joli fauteuil. Mais c’est comme une patte de lapin.

 

 As-tu des rituels d’écriture ?

 

J’écris mieux le matin. Je peux passer une journée entière à marcher dans mon salon pour trouver une idée. C’est ma manière de bosser. Pour les dialogues, j’ai une autre technique. Je les écris d’abord, et après je me lève, et je les joue, personnage après personnage, pour voir si ça colle. Si la mélodie est la bonne. Ce qui se lit avec difficulté, se comprend avec difficulté. Il faut que cela soit fluide et musical. Sinon, je peux écrire un peu n’importe où.

 

Mais tu me disais que tu avais un deuxième lieu…

 

Oui, c’est vrai. C’est quand je suis perdu, bloqué, ou que j’ai besoin de calme, je file dans la maison de campagne de mes parents. C’est dans l’Aveyron. Ils ont un pigeonnier et tout en haut, une petite chambre qui doit faire cinq mètres carré, avec juste la place pour un lit, et un tout petit bureau. Et là, je regarde par la fenêtre les collines de l’Aveyron pour imaginer les histoires de mon cher 93.

 

Tes personnages, les inventes-tu ex nihilo ou t’inspires-tu de ton entourage ?

 

La plupart du temps, je prends des gens que je connais. Je connais leurs secrets, je sais comment ils parlent, comment ils réagissent, comment ils s’habillent. Victor Coste (héros policier de ces trois premiers romans), c’était moi. Les autres sont aussi des flics que je connais. Aujourd’hui, je prends des gens de ma famille, des gens que j’aime. J’utilise aussi Nicolas Lebel, Claire Favan, Jacques Saussey (tous auteurs de polars)… Ou le fils de ma sœur. Dans Entre Deux Mondes, Bastien, c’est lui. Je commence à réfléchir à un personnage, et je me dis que je voudrais qu’il soit intelligent, faible, crétin, ceci ou cela, et quand je le tiens à peu près, je me dis : « A qui ressemble-t-il que tu connais ? » A partir de là, je lui donne son prénom et il devient quelqu’un que je côtoie dans la vraie vie. Dans Entre deux Mondes, j’ai beaucoup discuté avec un journaliste pour avoir des infos sur la ville de Calais, et quand il fallu créer un personnage de localier, je ne suis pas allé bien loin.

 

Comment procèdes-tu quand tu te lances dans une histoire ? As-tu déjà un plan, une fin en tête ? Est-ce que tu fais des repérages ?

 

Oui, il faut que j’aie vu l’endroit, que je connaisse les odeurs, les textures, les bruits… J’ai besoin de tout ça.

 

Mais quand tu décris la Lybie ou la Syrie comme dans Entre Deux Mondes

 

Pour ça, je vais voir des gens du CNRS, ou de Sciences Po, des Libyens, des Syriens. J’ai passé du temps avec eux. Ils m’ont montré des photos de leurs maisons. Mais ça, c’est juste parce que je ne pouvais pas y aller. La guerre… Ou parce que c’est compliqué. Dès que je peux, je me rends sur place. Je ne pouvais pas écrire un livre sur la jungle de Calais sans y vivre. Pour Territoires qui traite de la collusion en politique, j’ai passé des soirées pendant des mois et des mois avec des hommes et des femmes politiques pour qu’ils me racontent comment ils tiennent une ville. Après, pour la construction du livre, j’ai besoin d’un squelette très précis. Chaque post-it représente un chapitre sur lequel il est indiqué les émotions, les situations et l’avancée de l’enquête, comme celle des personnages. A la fin, j’ai la totalité de mon livre collé sur ma fenêtre, la double fenêtre de mon salon. Ce qui fait que je peux travailler sur l’évolution de l’histoire. John Irving que j’aime beaucoup (Le Monde selon Garp, Une Prière pour Owen…) dit en gros : « Est-ce que la fin de ton livre vaut que je me gaufre les 400 pages qui sont avant ? » J’essaie de créer un crescendo, que cela monte toujours et qu’à la fin, il y ait une sorte de feu d’artifices avec toutes les émotions possibles. La phrase que je crains le plus, c’est : « Tout ça pour ça. »

 

Et tes histoires, elles te viennent comment ?

 

C’est d’abord un fait divers, quelque chose lié à un truc social, pas tellement à des histoires de police. Quelque chose qui me heurte, et un sujet dont les gens ne parlent pas vraiment. Une enquête sur la jungle des migrants à Calais, tu n’as forcément envie de te fader 500 pages… Je me suis dit qu’il fallait que j’écrive une grosse enquête de police à l’intérieur pour créer comme une escroquerie. Ce serait comme si je disais au lecteur : « T’inquiètes pas, c’est un polar, tout va bien se passer. » Et puis à la fin, j’aime à penser qu’il se dit : « Ah ouais, merde, c’est un polar qui me parle de ça ou ça… » Le truquage des chiffres de la criminalité dans Code 93, les collusions entre les gangs et les politiques dans Territoires, l’état de la justice et des prisons dans Surtensions.

 

Quand tu prépares tes livres, tu procèdes comme un journaliste, un policier ?

 

Comme un journaliste. Les policiers agissent comme des journalistes… Par exemple, quand une femme arrive en pleurant dans un commissariat et déclare : « Il m’est arrivé ça. » Dans mon équipe, si on est six, il y a cinq gars qui vont enquêter sur ce qu’elle nous a dit et qui vont faire vraiment attention à elle, et il y a un type à qui je dirai : « Elle ment. Trouve-moi des preuves. » Toujours envisager tous les angles, toutes les options possibles. Quand je suis parti dans la jungle de Calais, j’aurai très bien pu faire mon livre en n’écoutant que les migrants. J’avais déjà tout le potentiel d’émotions nécessaires. Mais je me suis dit : « Ok, tu as les migrants. Maintenant, tu vas passer des nuits avec des flics… Puis du temps avec les journalistes de Calais, puis avec les Calaisiens, puis les passeurs albanais, etc. » Une fois que tu as tout ça, tu peux écrire ton histoire. Tu ne donneras pas de solution, tu ne vas pas être moralisateur, ni militant, mais tu vas offrir au lecteur un instantané de tout ce qui se passe, et il pourra se faire sa propre idée, sa propre opinion. Et là, j’en reviens au journaliste, quand quelqu’un lui dit blanc, il va aller vérifier auprès d’autres sources que c’est bien blanc.

 

Est-ce que l’écriture ne serait pas un moyen pour toi de vivre des aventures ?

 

Bien sûr, et encore mieux que ça. Quand tu écris, tu es démiurge. Tu es face à une page blanche et tu es le Dieu de cette page. Tu vas créer un univers, des personnages sur lesquels tu as le pouvoir de vie et de mort. Et en plus de ça, tu vas faire subir tout ça à des lecteurs qui aussi gentils soient-ils, ouvrent un bouquin en toute confiance, alors que toi derrière, tu fais ta mouche… Tu crées un personnage auquel il s’attache et Bam, une balle dans la gueule. Quand j’étais flic, ma préoccupation, c’était la victime. Je ne pensais qu’à elle. Je n’ai jamais été un grand fan de ce que l’on appelle les beaux voyous, les beaux salauds. Depuis que je suis auteur, mon seul intérêt, c’est le lecteur. Comment je vais l’arnaquer, lui faire aimer un personnage, détester un autre, le faire aller à gauche alors que tout se passe à droite, tout en ayant en tête qu’il n’y a rien de plus dégueulasse qu’une fausse piste.

 

As-tu pensé à une adaptation télé ou ciné de tes livres, et qui verrais-tu comme comédien(s) pour interpréter tes personnages ?

 

Surtensions est en développement pour en faire une série de 6x52 mn. La boîte de production s’appelle Adrénaline. Entre Deux Mondes a déjà été acheté. Il est en cours d’adaptation par le réalisateur et scénariste Gilles Paquet-Brennet (Elle s’appelait Sarah, Dark Places…). Et pour moi, le capitaine Vincent Coste (Code 93, Surtensions, Territoires), ce serait un mélange entre Matthias Schoenaerts et Thierry Neuvic. Quand une fille le voit, il faudrait qu’elle se dise « J’aimerai bien être dans ses bras » et quand il rentre dans un café rempli de bandits, il faudrait qu’eux se disent « J’aimerai mieux ne pas me faire péter la gueule par ce mec. » Coste doit être réconfortant et intimidant. Tiens, comme Idris Elba (The Wire/Sur Ecoute, Luther…). Dans la vraie vie, je déteste, je hais Idris Elba.

 

Où se dérouleront tes prochaines histoires ? Tu avais commencé à quitter la France avec Entre Deux Mondes

 

Si ta question, c’est les Etats-Unis. C’est non. Pourquoi je quitterai la France ?

 

Non, je pensais plus à Maurice G. Dantec qui avait situé par exemple La Sirène Rouge en Espagne…

 

Ah, Dantec ! Tout à l’heure, tu m’avais demandé les bouquins qui m’avaient marqué. J’avais oublié de te citer Les Racines du Mal de Dantec. C’est ma première claque magistrale. J’avais juste les poils quand je le lisais.

 

Propos recueillis par Frédérick Rapilly (novembre 2017)

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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