Claire Favan : " Je ne glorifie pas les tueurs en série..."
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INTERVIEW (2). Claire vient de publier son 6ème roman, Dompteurs d'Anges (La Bête Noire, édition Robert Laffont). Un polar aussi noir et "tordu" que ses livres précédents, situé comme à son habitude en Amérique. Je lui avais déjà fait parlé de son sujet de prédilection, les tueurs en série, et de sa façon de travailler dans une interview datant de 2013. Claire repasse donc à l'épreuve des questions...
Depuis tes deux premiers romans, Le Tueur intime et Le Tueur de l’Ombre, as-tu changé, modifié ou fait évolué ta méthode d’écriture ?
Claire Favan : Pas spécialement. A l’époque, mon fils était tout petit et j’écrivais un peu n’importe comment, n’importe quand, sans rituel spécifique. Le principal pour moi, c’est d’avoir composé, mûri, réfléchi mon plan bien avant. Je laisse infuser, et j’ai toute la journée pour penser à ce que je vais écrire le soir. Le moment le plus important pour moi, c’est celui où je me mets à chercher des idées, et à les agencer pour rédiger ce plan auquel je vais me tenir de la première à la dernière ligne. Une fois que cette étape est faite, j’exagère si je dis que c’est du remplissage mais pour moi le plus dur a été fait. Si je n’avais pas de plan, je ne saurai pas où aller…
Pourrais-tu écrire autre chose que du polar ?
C. F. : J’ai plein de romans off dans mon ordinateur. Je me ressource en me lançant dans différents styles comme un roman Fantasy ou une dystopie mais cela fait partie de mon jardin secret. Ces livres, je les écris pour moi. Ils ne sont pas destinés à être publiés. J’en reviens toujours à la même chose, je me suis mise à écrire pour lire ce que je ne trouvais pas dans le polar.
A quoi ressemble l’endroit où tu écris ?
C. F. : C’est la chambre d’ami de la maison qui me sert de bureau. La pièce n’a rien de spécial. Il y a un petit bureau. Je suis assise face à un mur. J’ai mes notes à portée de main. Il y a le sèche-linge avec les vêtements étendus. Mon mari m’a fait changé de siège. Avant, j’avais simplement un tabouret. Ca me convient très bien.
Tu n’as vraiment aucun rituel pour te mettre en action ?
C. F. : Quand l’intrigue est compliqué, et que j’ai besoin de maîtrise le temps comme dans Dompteurs d’Anges, je me fais une ligne de temps à laquelle je me réfère. Pour mes personnages, je les fixe physiquement mais je ne découpe pas de photo d’acteurs ou d’actrices pour m’inspirer. Je mène mes recherches avant de me lancer en écriture. Je me fais un fichier avec des captures d’écran, et des favoris pour les personnages quand j’ai besoin de vérifier un détail. Tout est dans ma tête ou dans mon ordinateur, à portée de main.
Et jamais tes personnages ou ton intrigue ne t’échappent ?
C. F. : En cours d’écriture, il m’arrive des choses mais en gros, tout est vraiment calé. Mais je n’ai pas vraiment le choix, si je ne suis pas organisé, je ne peux pas tenir mon rythme. Pour Dompteurs d’Anges, je l’ai fait de février à septembre 2016 en n’ayant que 12 heures d’écriture par semaine. Pas plus, pas moins…
Quand tu imagines tes intrigues, de quoi pars-tu ?
C. F : Pour Dompteurs d’Anges, le déclic a été les attentats de Bruxelles. J’ai lu qu’un des kamikazes qui s’était fait sauter avait été vu en boîte de nuit quelques mois avant, et je me suis demandé comment quelqu’un pouvait être endoctriné aussi rapidement. Qu’est-ce qui s’était passé ? Après, mon roman ne traite pas directement de cette histoire… Si je vois qu’une intrigue que j’ai échafaudée tient la route, je me lance. Pour Miettes de Sang, c’est la personnalité de mon enquêteur qui m’a donné envie d’écrire. Danny est comme castré, très en retrait, et c’est de ce blocage qu’est née mon histoire. Mais là, après Dompteurs d’Anges, je vais faire une pause et je ne sortirait pas de livre l’année prochaine.
Toutes les intrigues de tes romans se déroulent aux Etats-Unis, mais pas n’importe où… Plutôt loin des grandes villes comme New York ou Los Angeles. Qu’est-ce qui te fascine dans ces endroits ? Vas-tu finir par prendre un ticket pour l’Amérique comme l’a fait Bernard Minier pour Une Putain d’Histoire ?
C. F. : Mon sujet, c’est les tueurs en série et pour moi, ça va avec l’Amérique. En France, il n’y a pas assez de place pour mes histoires, et la France, c’est aussi la réalité. Elle ne me fait pas rêver, ça me coupe le robinet. Tout est en noir et blanc, de mon point de vue. Pour que je m’évade, j’ai besoin de ne pas avoir de contraintes, donc… L’Amérique. Et pour tout ce qui concerne le FBI, les tueurs en série, c’est plus facile. Je n’ai pas besoin de faire de recherches alors que si je situais mes histoires en Afrique du Sud ou en Australie, il faudrait que je reprenne tout à zéro…
Et partir enquêter en Amérique ?
C. F. : L’été dernier, j’ai été au Canada mais en vacances. J’étais une touriste. Pour le reste, il y a Google Maps, et c’est idéal. J’ai exploré ainsi la forêt de Tallahassee de fond en comble pour Dompteurs d’Anges. C’est ma façon de travailler. Je fais tous mes repérages en amont, je m’inspire d’endroits qui existent réellement sans éprouver le besoin d’y aller. C’est la même chose dans ma façon d’écrire, je compte beaucoup sur l’imaginaire de mes lecteurs, et j’évite d’entrer dans des descriptions des lieux trop précises. Je fixe simplement le décor. Cela suffit. La télé, le cinéma, nous ont donné tant d’images que nos cerveaux font le reste.
Tes histoires se distinguent par des twists assez inattendus, et souvent très amoraux… Comment construis-tu ces effets ?
C. F. : Je suis simplement une lectrice de polars, et je sais ce que j’aurai envie de lire, quel retournement de situation me satisferait. En fait, j’écris le livre qui pourrait me plaire si je le lisais. Jusqu’à maintenant, et je touche du bois, je ne suis pas trop trompée puisque les lecteurs me suivent. Et le côté immoral, j’assume complétement…
Ton attirance, appétence, pour les tueurs en série, présents dans tous tes romans, tu la cultives ? Est-ce que tu lis des témoignages, ou regardes-tu des documentaires sur le sujet ?
C. F. : Pas du tout. Je devais avoir 15 ans quand ma mère a refermé un livre en s’exclamant « Trop bon ! » C’était un livre avec un tueur en série. Je l’ai lu et jai eu comme une illumination. Mais je ne m’intéresse pas plus que cela aux tueurs en série, ni je les glorifie, et je n’aurai aucun intérêt à en rencontrer, c’est juste que c’est un super support pour raconter des histoires. Je raisonne comme un auteur, pas du tout comme un psychiatre qui voudrait les décortiquer pour connaître l’origine du mal.
Avec le temps, ton écriture semble s’être simplifiée…
C. F. : C’est surtout que depuis Le Tueur Intime et Le Tueur de l’Ombre, j’ai abandonné le passé pour écrire au présent. Tout est plus rapide. C’est un temps qui implique que l’on soit dans l’action, direct. D’ailleurs j’avais commencé à écrire la première partie de Dompteurs d’Anges au passé, et j’ai tout remis au présent. Sinon, ça ne fonctionnait pas. Un fois, je faisais un voyage en train avec un auteur en revenant d’un salon au Havre, et celui m’avait fait remarqué que si tu écrivais au passé, cela impliquait que quelqu’un avait survécu pour raconter l’histoire. Et par conséquent, que le présent rajoutait du suspens.
Propos recueillis par Frédérick Rapilly (mars 2017)