Rodolphe Casso : « The Walking Dead fait partie de mes influences, mais il y aussi… »

INTERVIEW. Il a imaginé un Paris apocalyptique, envahi par les zombies, bombardé par ce qui reste de l’armée régulière, avec quelques survivants singuliers (trois clodos, un chien, et deux membres d’une milice nationaliste lancés dans une mission spéciale) réfugiés dans le métro, et tout ça dans un premier roman étonnant, baptisé « PariZ » *. Assumons le jeu de mot, celui-ci se dévore littéralement... Journaliste spécialisé dans la presse rock, musicien (avec plusieurs albums à son actif ** ), Rodolphe Casso est un parisien, un vrai… Qui raconte Paris aujourd’hui comme peut le font. Je lui ai posé ces questions par mail, il a pris le temps d’y répondre… Un auteur qui apprécie pêle-mêle Michel Houellebecq, Cormac MacCarthy et Aldous Huxley.

 

* « PariZ », Editions Critic, 452 pages, 22 E

** Allez faire un tour sur YouTube en tapant « Rodolphe Casso »

 

Au plus loin que tes souvenirs remontent, quel est le premier livre qui t'a touché ? Et, est-ce que tu te souviens de pourquoi et d'une scène en particulier ?

Ce doit être Le Meilleur des mondes, d’Aldous Huxley. Je l’ai lu quand j’avais 15 ans. J’étais en seconde et mon prof de français, qui avait l’air très cul serré, nous a demandé de lire au choix 1984 d’Orwell, Fahrenheit 451 de Bradbury et donc Le Meilleur des mondes. Avec du recul, ce prof devait être bien plus subversif que son allure BCBG ne le laissait paraître pour proposer ces trois livres au programme. J’ai donc choisi le livre d’Huxley, et ça m’a ouvert une toute nouvelle dimension. C’est le seul livre que j’ai lu trois fois. La scène qui m’avait marqué déjà à l’époque, c’était celle du conditionnement des bébés-éprouvettes. Quand on leur passe des messages subliminaux sur haut-parleurs du type : « Mais les vieux habits sont affreux. Nous jetons toujours les vieux habits. Mieux vaut finir qu’entretenir. »

Une question un peu con-con, mais qui révèle parfois des choses sur soi...Si ta bibliothèque était en flamme, quel livre sauverais-tu en premier ?

Le Dictionnaire du rock de Michka Assayas.

Comment écris-tu ? As-tu un endroit en particulier, et dans ce cas peux-tu le décrire (bureau, vue, chaise, posters au murs, photos...) ? 

Un canapé, un ordi portable sur les genoux et basta. D’ailleurs, le canapé, c’est une connerie : c’est très mauvais pour le dos.

 "PariZ" est ton premier roman à ma connaissance, mais as-tu déjà établi un protocole, mis en place des rituels d'écriture ? Par exemple, écoutes-tu de la musique avant, pendant que tu écris... Et quel genre ? As-tu une routine, ou tu fais comme tu peux ?

Non, pas de rituel en particulier. Juste un canapé, un ordi sur les genoux. D’ailleurs, le canapé…

Comment t'es venu l'idée de départ de "PariZ" ? Est-ce que la série télé ou le comic "The Walking Dead" a servi de déclic ? Ou pas du tout ?

A l’origine, je voulais écrire un livre dans un Paris dévasté. J’étais assez en colère à cause de l’évolution de cette ville, sa pression immobilière, la disparition des quartiers populaires, la difficulté financière que ça représente pour les gens de vivre ici, surtout les familles et les étudiants. Donc, comme je ne pouvais pas détruire Paris en vrai, parce que j’aime quand même énormément cette ville et que je ne suis pas un psychopathe, j’ai décidé de le faire par le biais du roman. The Walking Dead fait partie de mes influences, c’est certain, car la série cartonnait déjà quand j’ai commencé à écrire. C’était une référence incontournable. Mais il y a eu d’autres films, comme La Route de Cormac McCarthy, Bienvenue à Zombieland, 28 jours plus tard, Rec, L’Armée des morts, la série Dead SetThe Walking Dead a peut-être servi de déclic dans la mesure ou je me suis dit que les zombies étaient sortis du ghetto du film de genre. Qu’ils pouvaient toucher pas mal de gens. Qu’ils devenaient « cool » aux yeux du grand public. Parce qu’il n’y a pas si longtemps, le zombie, c’était considéré comme un truc de gros ringard attardé. J’ai discuté il y a peu avec un fan de zombies qui était agacé par ce succès populaire. C’est toujours le cas quand un genre, ou un artiste, passe de l’underground au mainstream. Sauf que The Walking Dead ne trahit pas les codes du genre pour caresser le grand public dans le sens du poil. C’est quand même hyper sombre et hyper gore. Pareil pour la fantasy avec Game of Thrones. Ces séries sont des chances extraordinaires pour tous les auteurs de ces différents genres. On vit probablement un âge d’or.

 Qu'est-ce qui t'a demandé le plus d'efforts dans ce premier roman ? L'intrigue, la construction des personnages, choisir tes décors... ?

L’intrigue m’a posé pas mal de problèmes de cohérence sur les questions technologiques. Je me suis vraiment documenté sur les appareils et les armes employés dans le bouquin. Paradoxalement, j’ai horreur des armes à feu, mais je me suis rendu compte que j’entretenais dans PariZ un certain fétichisme pour elles. J’aime les décrire, citer leurs noms, leurs modèles… Je tiens surement ça de mes lectures des romans de Jean-Patrick Manchette. En tout cas, il fallait que mes propositions en termes de technologie apparaissent cohérente aux yeux du lecteur. Et comme jusqu’ici, personne ne m’a encore dit « T’as vraiment raconté que des conneries ! », je pense que ça passe. Pour les personnages, je n’ai pas eu de souci particulier pour les créer. Celui qui m’a demandé le plus de recherches est La Gâchette, un ex-enfant soldat qui a combattu dans la Renamo, une faction rebelle du Mozambique. J’ai dû me documenter un peu sur ce conflit et sur les enfants-soldats. Quant aux décors, je suis né à Paris, ça fait presque 40 ans que j’y vis, donc pas trop de souci de ce côté là.

 Est-ce que pour trio de anti-héros, La Goutte, La Gâchette, La Gobe et Goa, son chien, ou pour tes autres personnages (le duo de facho), tu t'inspires de gens que tu connais ou que tu as croisé ?

Le seul personnage qui est inspiré de la réalité, c’est Goa, le chien. J’ai une bonne copine qui avait un chien de la même race : un American Staff. Il s’appelait Onyx, et j’aimais beaucoup ce clébard. Alors que d’ordinaire, je m’en fous un peu des chiens. Sinon, pour les deux miliciens identitaires de mon livre, je me suis pas mal souvenu des Scouts.

 Comme tu es journaliste, t'es-tu "amusé" à te mettre en situation, en explorant les endroits (métro, Assemblée Nationale...) que tu décris ?

J’ai visité tous les lieux que je décris. Pour la station de métro Charles de Gaulle – Etoile, j’ai pu me balader dans les locaux de la RATP interdits au public avec la complicité d’un contact. De plus, j’ai passé plusieurs journées dans la station pour la cartographier. Et elle est assez tentaculaire… Ça donne un paquet de feuilles gribouillées que je dois être le seul à pouvoir déchiffrer…

 Es-tu un fan de lecture post-apocalyptique ou de romans autour de zombies, et si oui, y-a-t-il ? Et si, c'est non, quels sont tes lectures, auteurs et romans préférés aujourd'hui ? Et toujours... Pourquoi ?

Je suis fan de post-apocalyptique et de zombies, mais au cinéma. A part les livres de Max Brooks et La Route de MacCarthy, je n’ai pratiquement rien lu dans ce genre. Ah si, il y a eu aussi Terminus radieux, d’Antoine Volodine, que j’ai lu il y a peu. Complètement cinglé celui-là ! Pour le reste, j’aime beaucoup les polars de Jean-Patrick Manchette ou les romans totalement déglingués d’Edgar Hilsenrath, dont Le Nazi et le Barbier, qui est un chef-d’œuvre absolu. Dans un autre genre, j’aime aussi beaucoup les trois premiers romans de Houellebecq, ou certains d’Haruki Murakami. La Course au mouton sauvage a longtemps été un de mes livres de chevet. Par contre, Kafka sur le rivage, ça m’a saoulé. Sinon, il y a un auteur très fort en romans historiques que j’adore, c’est Hervé Le Corre. L’Homme aux lèvres de saphir, c’est du grand art. En général, j’aime les auteurs radicaux, nerveux, subversifs. J’aime les sentir palpiter et s’exprimer derrière le récit. Et j’aime quand ce n’est pas écrit pour plaire.

 Certains auteurs s'imposent des règles d'écriture (pas plus de 6 mots par phrase, ne jamais commencer par la lettre E...). Est-ce que c'est ton cas ? Où es-tu en mode "freeride" ?

La seule chose que je m’oblige à faire, c’est d’éviter dans une description de balancer des énumérations au lieu de choisir le bon mot. Par exemple, on peut écrire : « Ce type était un salaud de première, un sale fumier, une véritable ordure. ». Mais je suis persuadé qu’écrire « Ce type était une véritable ordure. » est plus efficace et plus puissant.

 Avant de te lancer dans "PariZ", avais-tu déjà été au bout de l'écriture d'un roman ?

Non, jamais. J’ai attendu de me sentir prêt à le faire. Et d’avoir assez de vécu, de recul et de maturité. Avant ça, j’étais occupé par la musique. J’ai enregistré des albums, donné une centaine de concerts… C’est ça qui m’intéressait à l’époque. Je préférais écrire des chansons. Je n’étais pas prêt pour le roman.

 Quel a été ton premier texte publié, et de qu'est-ce que cela racontait ? Qu'est-ce qui a fait office de déclic pour se décider à raconter une histoire sur près de 450 pages ? Ou qui ?

Comme j’ai commencé le métier de journaliste en 1999, je ne me souviens pas de mon premier texte publié. Ça doit être une pauvre brève minable pondue lors d’un stage. Mais dont je devais être très fier à l’époque ! En revanche, je me souviens de ma toute première interview. C’était le groupe Pinback, pour le magazine Guitar Part. Leur musique était très bizarre et ils n’en avaient pas grand-chose à foutre de moi ! Ou peut-être que mes questions étaient pourries ! On a fait ça sur le pont du Batofar, où ils jouaient le soir même. Un chouette souvenir quand même.

Quant au déclic pour me lancer dans l’écriture de PariZ, c’est un ensemble de facteurs. Je me suis retrouvé au chômage en 2013, après la fermeture d’un magazine de rock pour lequel j’écrivais. Et j’écrivais beaucoup, beaucoup : entre 20% et 25% du mag, qui faisait 100 pages. Ça représentait entre 80000 et 100000 signes par mois. Donc, le journal a fermé, j’avais du temps, et je savais que je pouvais pondre du volume. Une fois que j’ai trouvé l’idée du bouquin, je me suis lancé.

 T'es-tu déjà imaginé que ton roman était porté à l'écran : et qui verrais-tu dans les rôles principaux ?

Autour de moi, les gens commencent à me soumettre des idées. Pour La Goutte, le vieux clochard alcoolique, beaucoup pensent à Depardieu. Mais il n’est pas assez âgé pour le personnage. En revanche, niveau picole, il est tout à fait au niveau. Pour La Gâchette, je verrai bien quelqu’un comme Hubert Koundé. Et pour La Gobe, n’importe qui capable de jouer les débiles mentaux.

 Avant de te mettre à écrire, as-tu consulté, lu, des manuels d'écriture genre "Ecriture" de Stephen King ?

Non, aucun, en tout cas pas pour le roman. J’ai lu quelques manuels sur l’écriture du scénario, il y a 10 ou 15 ans. Et celui de John Truby, cette année. Il se trouve qu’après PariZ, j’ai écrit un scénario et j’ai posé des idées pour un deuxième.

Que lis-tu en ce moment ?

Les Chants de Felya, de Laurent Genefort. Comme j’étais chez Critic, mon éditeur, le week-end dernier, je suis reparti avec une bonne dizaine de romans de son catalogue. Je vais pouvoir me mettre à la page de ce qui se fait en littérature SF de nos jours !

Beaucoup de morceaux sont cités dans "PariZ"... S'il n'y en avait qu'un à retenir, quel serait-il ?

Je ne révèlerais aucun des morceaux cités dans le livre car, pour moi, ils participent à des effets de surprise que je souhaite préserver. Mais je tiens à dire que les chansons citées  dans le livre ne sont pas celles que j’écoute. Ce sont celles qu’écoutent mes personnages. D’ailleurs, je n’aime pas trop quand un auteur cherche à placer les chansons qu’il aime dans une histoire. La musique doit servir le récit et en faire partie intégrante. Elle doit délivrer des informations sur les personnages, pas sur l’auteur.

 As-tu commencé à réfléchir à la suite ? Et quel sera le thème, le titre, de ton prochain roman ?

En écrivant PariZ, j’avais posé les bases d’une suite. Aujourd’hui, je suis entré dans une phase de prises de notes. Je recueille des idées. En tout cas, j’ai déjà une trame assez définie. Ça se passerait toujours dans Paris, environ un an après le premier. Ce serait l’occasion d’explorer de nouveaux quartiers, avec de nouveaux personnages. Pour l’heure, mon titre de travail est PariZ sera toujours PariZ.

 

Recueillis par Frédérick Rapilly (octobre 2016)

 

 

Crédit photo : RCasso@Franck Parisot

Crédit photo : RCasso@Franck Parisot

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