Michaël Mention (Partie 2) " Il me faut du café, des clopes et de la musique..."
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PARTIE 2
Est-ce que tu te documentes beaucoup ? Et si oui, de quelles façons ? Est-ce que tu te rends sur place ?
Ça dépend de l’intrigue. Je me suis fait connaître avec des récits ancrés dans l’Histoire, mais ce n’est pas une spécialité : mes premiers étaient des romans fantastiques, à peine documentés, et le prochain (Le carnaval des hyènes) est purement fictionnel. J’aime me documenter, comprendre tel ou tel phénomène (ou du moins essayer) mais je suis dans une période d’émancipation et cela induit de me libérer de ce « souci du réel » qui peut être un frein à l’imagination.
As-tu des rituels précis d’écriture ? Lesquels (typo, café tous les matins, un caleçon spécial…) ?
Il me faut du café, des clopes et de la musique.
Je crois que la musique est très importante pour toi dans le processus d’écriture. Comment intervient-elle ? Ecris-tu en musique par exemple ? Ou te fais-tu une bande-son liée à l’écriture du roman du moment ?
J’écris en musique car, la plupart du temps, le silence m’oppresse. Si un chapitre demande davantage de concentration ou s’il est émotionnellement pénible à rédiger, je coupe parfois la musique mais c’est rare. La musique est une réalité parallèle où les mélodies, les textes stimulent mes perceptions. Je l’intellectualise autant que je la ressens, comme tout mélomane. En fonction des romans, je cherche le morceau susceptible de traduire une émotion spécifique. Il y a aussi le plaisir d’évoquer une chanson qui m’est chère, la dernière en date étant Emotion sickness de Silverchair. Dans Sale temps, j’ai casé Hotel California car c’est le premier slow que j’ai dansé et qu’il me permet de « rendre hommage » à la fille aimée à l’époque (en 88, ce qui ne me rajeunit pas).
Tu écris souvent sur des personnages qui ont existé, de façon très documentaire… Est-ce que tu procèdes ainsi pour éviter de mettre trop de toi dans tes livres ?
Non, d’autant que mes romans sont de plus en plus personnels. L’aspect réaliste n’y change rien, bien au contraire : plus mon récit s’inscrit dans l’Histoire, plus je prends plaisir à la « tordre » pour me l’approprier. À ce jour, Adieu demain et Jeudi noir sont mes romans les plus intimes, j’y ai mis des souvenirs, des potes, des colères remontant à mon adolescence. Quant au Carnaval des hyènes, bien qu’il traite de la télé et de l’espionnage, il est également très personnel car exutoire : les médias dominants sont devenus si grossiers, si néfastes … mais je ne suis pas dupe, je sais que mon livre n’y changera rien et que leur bêtise nous survivra. Tout ce qu’il nous reste est de se foutre de leur gueule, d’où ce roman.
T’imposes-tu comme Paul Colize, Bernard Minier et quelques auteurs un peu maniaques, des règles d’écriture (pas de phrase commençant par E, pas de dialogues…) dans tes livres ?
Je ne m’impose rien. La vie comporte assez de contraintes sans que je m’en rajoute dans l’écriture.
Es-tu resté un grand lecteur ? Et si oui, que lis-tu en ce moment ?
Comme toi et la plupart des autres auteurs, je lis quand j’en ai le temps, ce qui devient difficile. J’ai chez moi une liste de romans conseillés par des amis, des lecteurs, et j’essaie de m’aménager des moments de lecture. L’année dernière, j’ai lu Cavale(s) de Marie Vindy, Black cocaïne de Laurent Guillaume, Aux animaux la guerre de Nicolas Mathieu, La faux soyeuse d’Eric Maravelias ou encore L’expatriée d’Elsa Marpeau : cinq livres que j’ai beaucoup apprécié, pour diverses raisons. Récemment, j’ai lu la nouvelle traduction de L’assassin qui est en moi de Thompson (bravo à Jean-Paul Gratias !) et là, je me suis remis à L’enfant aux cailloux de Sophie Loubière. Jusqu’ici, maîtrisé et pudique.
Quand tu n’écris pas, que fais-tu ? Est-ce que tu considères l’activité de romancier comme un métier, une vocation, une occupation, un loisir, un sport à haut risque (alcoolisation sur les salons…) ?
Je viens de retrouver un job alors, quand je n’écris pas, je travaille … et réfléchis à ce que j’écrirai à mon retour. Quant à cette question de « métier », de « vocation », ça m’intéresse pas d’y réfléchir. Je suis certain de deux choses : l’écriture est ma vie et la plupart de mes potes écrivains sont pour moi une deuxième famille.
Sur quoi travailles-tu en ce moment ? Peux-tu nous donner le titre, et le pitch ? Ecriras-tu un jour du thriller, ou te sens-tu plus à l’aise dans le polar/roman noir ?
En ce moment, je peaufine Le carnaval des hyènes avant de faire de même avec Et justice pour tous, le dernier volet de ma trilogie. Le roman prévu pour 2016 est un polar fantastique, que je portais en moi depuis dix ans. Pour ce qui est du thriller, j’aime en lire même si la plupart me semblent trop soumis à une dynamique d’intrigue, pas assez axés sur l’humain et la dérision. Je suis sensible au « noir » car j’y puise une liberté infinie, celle de grandir en « sale gosse » dans un monde cruel et déprimant.
As-tu des projets d’écriture en dehors du polar ? Pour la télé, peut-être ?
J’ai deux projets (ciné et télé) qui mijote chacun avec des amis, mais chut !
Si tu avais un seul roman (qui ne soit pas de toi) à recommander à tes lecteurs, que choisirais-tu ?
Deux romans, c’est possible ? Grossir le ciel de Franck Bouysse et Amor de Dominique Forma, qui paraîtra le 6 avril. Ces deux-là ont une tonalité bien à eux, un rapport viscéral à la notion de liberté qui se ressent dans leur écriture.
Propos recueillis via mail par Frédérick Rapilly (1er avril 2015)
* Dont je fais partie, avec Maud Mayeras, Marc Charuel, Olivier Gay, Ghislain Gilberti.
Dans quelles conditions les auteurs de polars écrivent ces pages qui nous font frémir d'effroi ? C'est suite à cette question que j'ai initié une série de portraits avec Frédéric Rapill...