Nathalie Hug & Jérôme Camut : « Ce que nous cherchons, c’est que ce soit le personnage qui décide… »

Ils écrivent à deux. Souvent. Mais pas toujours (10 romans en commun pour le moment). L’un est plutôt mutique. L’autre exubérante et volubile. Couple en écriture et dans la vie, le duo formé par Jérôme Camut & Nathalie Hug fait partie de ces auteurs que le célèbre libraire à la houppette Gérard Collard définit comme le renouveau du polar à la française. Des romans percutants, denses, très ancrés dans la réalité. Des livres souvent conséquents (plus de 800 pages pour chacun des deux premiers tomes de la série W3), où la violence est ultra-présente, et des personnages travaillés, peaufinés… Attachants. Interview avec Nathalie, la moitié du tandem Camut & Hug (les deux se présentent aussi à leurs fans sur Internet sous cette entité : CamHug) alors qu’ils viennent de publier le tome 2 de la trilogie W3, Le Mal par le Mal.

Si tu remontes dans tes souvenirs, quel est le premier livre qui t’ait marqué durablement ?

Pour moi, c’est une série de romans historiques, Catherine, de Juliette Benzoni qui se déroule pendant la Guerre de Cent ans, avec une jeune fille qui tombe amoureuse…Forcément ! Je devais avoir 13 ou 14 ans quand je l’ai dévoré. Pour Jérôme, je sais qu’il s’agit de la trilogie Ca de Stephen King.

Est-ce qu’on lisait dans ta famille ?

Beaucoup. Ma mère surtout. Je lui ai piqué ses livres dès que j’ai pu… C’est comme ça qu’ado, j’ai découvert en cachette Emmanuelle et tous les Henri Miller mais aussi et surtout celui qui restera longtemps un de mes auteurs préférés, Frédéric Dard (Y a-t-il un français dans la salle, Les Clés du pouvoir sont dans la boite à gants...) mais aussi Katherine Pancol, qui écrit depuis un bail maintenant ! Ma mère étant allemande, j’ai aussi lu pas mal d’auteurs allemands…

Etais-tu une gamine qui jouait les conteuses, essayait d’intéresser les autres en racontant des histoires ?

La vérité, c’est que je me racontais des histoires… J’étais une grande mythomane. Je m’inventais des fiancés, des concerts imaginaires comme celui de Kim Wilde (Kids in America, Cambodia…), mon idole. Je racontais des craques à ma meilleure amie, et à chaque fois, j’étais forcément l’héroïne au centre de ces fables.

Côté école, faisais-tu partie des bonnes élèves ou plutôt des cancres ?

J’étais du genre très bonne élève, excellente en français. Un jour, une vieille copine de classe m’a raconté qu’elle avait rencontré une de mes anciennes profs. Celle-ci lui a demandé ce que j’étais devenue. Elle était persuadée que j’avais ou que j’aurai un destin littéraire. L’ironie, c’est qu’à l’époque je travaillais comme visiteuse médicale…

Avez-vous eu des nouvelles depuis que vous avez été publiée ?

Aucune. Mais peut-être a-t-elle su pour mes romans…

Et Jérôme ?

De ce que je sais, c’est qu’il était genre mauvais garçon, à récolter avertissement sur avertissement. Le genre de petit mec qui ne m’aurait même pas jeté un regard au lycée tellement j’étais détestable, adolescente.

Comment, et quand t’es-tu mise à écrire ?

J’avais 11 ans. Je découpais des photos dans des magazines, que je collais ensuite pour illustrer mon premier livre, un roman d’amour. J’en étais très fière. Je montrais mes textes à tout le monde, mes parents, mes profs… A l’adolescence, j’ai rédigé deux autres « romans. » Le premier, fantastique, racontait l’histoire d’une fille dont les rêves se matérialisent. Le deuxième tournait autour des derniers jours d’un homme atteint d’une tumeur au cerveau, obsédé par la pluie. Du côté de Jérôme, je sais que c’était Le Dernier Râle. Un tout premier roman complétement non-publiable, et puis il a écrit Malhorne (publié en 2002). Je l’ai lu, adoré, et puis j’ai vu l’âge du romancier qui l’avait écrit : un mec de 35 ans. J’étais persuadé que c’était un vieux bonhomme qui était responsable de tout ça. Je me suis dit que j’aurais vraiment voulu écrire ce livre. Je me suis débrouillé pour dénicher l’adresse mail de Jérôme auprès de son éditeur, et je lui ai écrit. C’était un 6 septembre 2004. Le lendemain, il m’a répondu : « Allez-y… Félicitez-moi ! » On a commencé à correspondre, et très vite une intimité s’est créée. Une sorte de coup de foudre intellectuel. On a fini par se donner rendez-vous. Et puis, tout a été très vite…

De quelle façon ?

J’écrivais des textes courts, des poésies. Il n’en était pas vraiment fan, je lui répondais que je ne pouvais pas faire plus long, je n’avais pas d’imagination. Et un jour, il m’a piégée. Il a commencé par me demander de lui rédiger une fiche de lecture pour un de ses personnages : « Tu n’as pas d’imagination ? Vraiment ? » De fil en aiguille, nous avons commencé à coécrire une nouvelle, puis nous avons rédigé le scénario de Prédation (1er tome des Voies de l’Ombre) pour le cinéma, puis le roman. L’idée originale était de Jérôme. Il avait imaginé l’histoire de Kurtz (clin d’œil à Marlon Brando et au film Apocalypse Now), et du dressage des humains. Un de nos amis, réalisateur, rêvait de l’adapter pour le grand écran. Entre-temps, c’est devenu un roman.

De Prédation au Mal par le mal, vous signez plusieurs de vos romans (10 pour le moment) à quatre mains. Comment travaillez-vous ?

Il y a deux types d’auteurs. Ceux qui écrivent d’un premier jet, c’est Jérôme. Et ceux qui écrivent en épluchures d’oignons, par couches, qui ajoutent, retranchent… C’est moi. Pour nous, tout commence par des tableaux que l’on couvre de notes, de post-it sur lesquels on imagine l’histoire, les biographies des personnages… Nous savons tout d’eux avant de se lancer dans l’écriture : leur passé, leurs désirs, leur façon d’agir, de réagir. Nous finissons par obtenir une sorte de pré-plan de 50 à 100 chapitres. A ce moment, Jérôme part s’enfermer dans sa caverne, casque audio sur les oreilles et capuche sur la tête. Il écrit 150 à 200 pages. Une fois que c’est fini, je prends ce texte et, comment dire, je « vois » la construction comme si je regardais un tableau, une photo panorama. Ce qui va, ou ne va pas. Les personnages à étoffer ou à éliminer. Les problèmes de rythme, de cohérence. Donc, je réécris. Puis, on se fait des réunions avec Jérôme...

… Des réunions, vraiment ?

Eh oui, on se réunit à deux. On refait un nouveau plan. Par exemple, dans les premières versions du Sourire des Pendus (1er tome de la série W3) le personnage de Lara Mendès la journaliste n’était pas du tout au centre de l’action. C’est venu après, avec cette histoire de séquestration dans un blockhaus. Avec Jérôme, on aime bien tout ce qui tourne autour de l’enfermement… C’est notre truc. Donc, on travaille, on retravaille, et on re-retravaille notre manuscrit jusqu’à ce que tout fonctionne. Du moins, de notre point de vue.

Pour vos personnages, est-ce que vous vous documentez ? Autrement dit, est-ce qu’ils existent réellement ?

Oui, et non. Ce que nous cherchons, c’est que ce soit le personnage qui décide. Comme Léon Castel (un activiste râleur très attachant, prêt à tous les combats, et adepte des actions coups de poing dans W3)… Au début du tome 2 de W3 (Le Mal par le mal), il ne peut pas rester là sans rien faire même s’il est conscient que ses actions vont l’entraîner dans une merde pas possible. Nos personnages sont en fait, des envies… Les boîtes mentales de Sookie (une policière enquêtrice dans W3, fille de Léon) qui classifie dans sa tête tous les gens qu’elle rencontre, c’est comme cela que fonctionne Jérôme. Il y a un peu de Dustin Hoffman dans Léon, et ainsi de suite. Sans oublier Hervé, le simple d’esprit (toujours dans la série W3). Lui, il existe réellement. Nous l’avons rencontré là où nous vivions avant.

Comment écrivez-vous ? Ecoutez-vous de la musique par exemple pour vous mettre en condition ?

Jérôme écrit en musique. Avec des écouteurs, un casque sur la tête. Il travaille dans une chambre, avec les volets clos. Et il s’isole de toutes les façons possibles, jusqu’à littéralement se mettre une capuche sur la tête. Comme s’il voulait se couper de tout. Moi, j’écris dans le salon, les volets ouverts, avec les enfants qui passent… Sauf en phase terminale. Là, je deviens un monstre, du genre « A ne pas déranger. »

Est-ce que vous avez des rituels d’écriture ?

Comme beaucoup d’auteurs, je m’emmerde avec la mise en page alors qu’il suffirait que je fasse un copié/collé d’un précédent roman.

Vos romans sont très documentés, précis… Est-ce que vous vous rendez sur les lieux de vos crimes ?

Il n’y a pas de règle. Pour Le Sourire des Pendus qui débute à Vannes dans le Morbihan, Jérôme a fait appel à ses souvenirs puisqu’il a fait l’école militaire de Coëtquidan qui n’est pas très éloignée. Et moi, j’adore cette ville. Bientôt, nous irons en Russie pour visiter l’oblast de Kaliningrad, un endroit stratégique et bien réel qui figure dans W3.

Tu signes aussi des romans en solo (L’Enfant-rien, La Demoiselle des Tic-Tac, 1, rue des Petits-Pas). En quoi, ton écriture est différente… Ou pas ?

Je dirais qu’ils sont plus poétiques. Je ne m’interdis pas d’être efficace, mais je me laisse plus aller à l’émotion qu’à l’action. J’utilise aussi le « Je. »

Les deux premiers tomes de W3 sont très visuels. Est-ce qu’ils pourraient intéresser le grand ou le petit écran ?

W3 a été « optionné » pour la télévision.

Et vos précédents romans ?

Il y a toujours un projet en cours pour le cinéma autour de Prédation qui doit être tourné en anglais, aux Etats-Unis. Nous venons d’achever la version dialoguée. Ca bouge !

Propos recueillis par Frédérick Rapilly (début mars 2015)

Romans déjà parus.

Les Voies de l’Ombre (publiés chez Télémaque et par Le Livre de Poche)

  1. Prédation, 2006
  2. Stigmate, 2007
  3. Instinct, 2008
  4. Rémanence, 2010

W3 (publiés chez Télémaque et par Le Livre de Poche)

  1. Le Sourire des Pendus, 2013
  2. Le Mal par le mal, 2015

Chez Calmann Levy et au livre de poche

1. Les Eveillés

2. Trois fois plus loin

3. Les Yeux d’Harry

4. Les Murs de sang

Nathalie Hug & Jérôme Camut : « Ce que nous cherchons, c’est que ce soit le personnage qui décide… »
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N
J'aimerai savoir si une suite est prévu apres le mal par le mal qui m'a captivé mais qui ne se termine pas comme je l'avais espérer.<br /> Merci
Répondre
R
Oui... A ma connaissance, un 3ème tome est en gestation. J'ai croisé Nathalie et Jérôme à Saint Maur en poche...
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