Marc Charuel : « Millénium a été un choc total. Je l’ai lu, relu, décortiqué…. »

(1ère partie d’interview)

Ancien photographe et grand reporter de guerre notamment au Vietnam, Marc Charuel n’est pas consensuel. Un esthète aimant la provocation. Journaliste au magazine Valeurs Actuelles (il y est directeur photo), il publie depuis trois ans des thrillers inspirés (Le Jour où Tu dois Mourir, Les Soldats de Papier…) qui s’appuient sur ses expériences passées de journaliste, familier d’univers méconnus, tout en restant des ouvrages de fiction. Une vision du monde sans angélisme, avec des protagonistes qui sont loin d’être des héros, happés par le Mal avec un grand M. Son dernier thriller paru en mars 2014, Chiens Enragés, revient sur les dessous (vrais) des attentats fomentés en France et en Europe par Al-Qaïda et les islamistes radicaux pour commémorer de façon spectaculaire les dix ans du 11 Septembre. Un nouveau roman effrayant et saisissant.

Dans tes souvenirs d’adolescent ou d’enfant, quel est le premier livre qui t’a touché ?

Mon premier choc de littérature, c’est Le Bonheur des Tristes de Luc Dietrich (qui fut en lice pour le prix Goncourt en 1935). Un livre qui racontait l’histoire d’un gamin orphelin placé dans des institutions. Je devais avoir dix ou onze ans. Et je suis resté marqué par ce récit. Ma grande peur était que cela m’arrive. Mais ce livre était très beau. Avant, j’avais beaucoup lu les romans pour enfants d’Enid Blyton (Le Club des Cinq, Le Clan des Sept…).

Et ensuite ?

Avant l’histoire, ce qui m’intéresse, c’est la langue, les mots... Je me suis plongé dans Maupassant que j’adorais, Gilbert Cesbron qui était très noir ou encore Boris Vian.

Comment t’es-tu mis à écrire ?

J’ai commencé tôt à faire des bouquins, avant même d’avoir lu Dietrich. Je devais avoir neuf ans. Je voulais écrire des pièces de théâtre. Au bout d’un acte, je m’arrêtais. Ensuite, j’ai tenté de faire des romans que je n’ai jamais terminés sur ma Baby portative. Cela me prenait trop de temps à taper. En fait, je préférais surtout lire qu’écrire. Les premières tentatives réellement abouties, c’étaient des nouvelles. Elles étaient au nombre de quatre. J’avais seize ans, et j’étais très marqué par Boris Vian. Un univers un peu déjanté. A l’époque, il n’y avait pas de photocopies et je voulais avoir quelque chose entre les mains qui ressemble à un livre. Donc, comment faire ? Un copain m’avait parlé de l’impression par stencil (pochoir). J’ai donc tapé mes quarante pages de texte et je suis allé voir où cela me semblait le plus propice pour les faire ronéotyper ou imprimer : l’aumônerie. Je voulais éviter le curé, et j’ai trouvé un boutonneux sur place que j’ai réussir à convaincre de faire le boulot. Le lendemain matin, je me pointe. Le boutonneux était là. Il fait signe au curé qui prend le paquet de feuilles et me demande : « C’est à toi, ça ? » Je réponds : « Oui, mon Père. » Et je suis pris mon premier pain dans la gueule. Deux belles gifles. Il m’a jeté sur le trottoir avec mes feuilles. Qu’est-ce que j’avais bien pu écrire de si extraordinaire ? J’ai ramassé mes nouvelles, je me suis épongé le nez et je suis rentré chez moi. Mon père était là. Il me dit : « Qu’est-ce qui t’arrives ? » Je réponds : « Le curé m’a cassé la gueule. » Je lui explique vaguement ce qui est arrivé. Mon père prend les textes, les lit et finit par me dire : « Ecoute, je trouve ça plutôt bien, mais tu sais la littérature ne nourrit pas son homme. »

Et qu’est-ce qu’il y avait de si choquant dans ses nouvelles ? Du cul ?

Même pas… Un bout de sein qui pointait, et tout ce qui agitait un ado de seize ans. Je l’ai relu lorsque j’ai publié Le Jour où Tu dois Mourir, et j’ai trouvé ça plutôt bien torché. On sentait que j’avais travaillé ces textes. Mais c’était gentillet.

Est-ce que tu as continué à écrire ensuite ?

Je m’intéressais à plein de choses. La peinture, la photo et le dessin. Je faisais de la bande dessinée. J’avais toujours envie d’écrire mais j’étais plutôt attiré par les arts picturaux.

Au lycée, étais-tu plutôt un bon élève en français ?

En sixième, oui. Ensuite, cela s’est gâté jusqu’à ce que je retrouve de bons profs au moment de la seconde. Mais j’étais nul en philo. A mon époque, dans les années soixante-dix, lorsque j’avais quinze ou seize ans, on était nécessairement politisé. Je me souviens de deux profs de philo un peu coco, et moi je n’étais pas du bon bord, donc je m’entendais dire que j’étais nul mais ils n’avaient pas complétement tort. En français, on me reprochait mes lectures. Je lisais Drieu La Rochelle, Brasillach, mais pas qu’eux… Je lisais beaucoup d’autres auteurs. Mais je faisais ainsi aussi de la provoc’. J’aimais la bagarre.

Comment alors est-tu revenu à l’écriture ?

Après le Vietnam. J’étais parti là-bas après avoir lu Jean Hougron dont son roman-phare, Les Asiates. Je l’ai découvert quand je suis parti couvrir la guerre au Vietnam comme photographe. Je l’ai lu et relu. J’ai vécu ma vie là-bas. Quand je suis rentré en France, deux ou trois ans après, je me suis retrouvé à Pau où je travaillais pour l’armée. Très peu mais très bien payé. Le salaire d’un PDG mais pour ne rien faire. Donc l’après-midi, quand j’avais fini de faire mes photos, je lisais. Et c’est là que l’envie de raconter mon aventure au Vietnam m’a repris. J’ai donc écrit un premier roman de cent quatre-vingt pages que j’ai fait lire à deux amis journalistes. L’un d’eux m’a dit : « Mais ce n’est pas de la merde ! » Je pense qu’il voulait être sympa. Et l’autre m’a lâché : « Je pensais que cela serait pire. » J’avais vingt-deux ans. Je l’envoyé à six ou sept éditeurs, et j’ai reçu la lettre classique : « Blah-blah-blah… Votre manuscrit n’a pas retenu notre attention, nous vous souhaitons bonne chance ailleurs. » Ils ont tous été sympas parce que je l’ai relu, et qu’est-ce que c’était mauvais !

Et ensuite ?

Ensuite, je suis reparti comme journaliste en Asie pendant cinq ans. J’ai couvert énormément de guerres, de guérillas. Et en 1986, je suis gravement blessé. Comme j’étais envoyé par le magazine Valeurs Actuelles, ils m’ont engagé. J’ai accepté en me disant que je serais au chaud et que je repartirai. A l’époque, j’étais fauché. J’y suis depuis vingt-huit ans. Là-bas, on m’a appris mon métier et on m’a appris à écrire. Je fais beaucoup de sujets culture et société. Et en 1991, je me retrouve projeté aux première loges de l’affaire Boudarel (un universitaire français et militant communiste, responsable d’un camp de prisonniers, accusé d’avoir torturé des soldats français pendant la Guerre d’Indochine). C’est un scandale énorme. J’avais des infos de première main, donc je sors scoop sur scoop et des copains me disent : « Mais, fais-le ton bouquin ! » Je vais voir deux éditeurs. Le premier me jette. Et l’autre me demande si je peux remettre un texte dans un mois. Je dis oui. Et le bouquin, L’Affaire Boudarel, est sorti deux mois et demi plus tard. C’était un document, mais il a été extrêmement bien reçu. J’ai proposé un autre livre dans la foulée, et j’ai proposé un livre sur la Yougoslavie autour d’un type, un volontaire français que j’avais connu en Birmanie. Putain de Guerre a été aussi extrêmement bien accueilli, notamment par des gens comme Michel Polac ou Jean Hatzfeld (ancien journaliste de Libération devenu écrivain). Tout « facho » que j’étais, c’était des gens que j’admirais vraiment. J’ai proposé un troisième livre, intitulé Les Cercueils de Toile, un essai sur le journalisme de guerre. Il fallait que je me libère de toutes ces années passées en Asie. C’était un grand traumatisme pour moi. Je devais lui remettre en deux ans. Cela m’a pris cinq ans (il est paru en 1998). Là, pour le coup, je n’aurai jamais d’aussi bons papiers que ceux qui sont parus lors de sa sortie. Et je pense que je n’écrirais jamais un livre aussi bien que celui-là. Et après, il s’est passé dix ans d’absence. J’ai fait autre chose, de la photo, j’ai rencontré ma jeune femme, j’ai fait deux enfants. J’ai été un peu flemmard… Jusqu’à ce que ma femme me dise : « T’es pas marrant, tu pourrais lire autre chose que la littérature blanche. » Et elle me donne Millénium. Le choc total. J’ai lu, relu, décortiqué. Je l’ai analysé comme lorsque j’étais lycéen. Et j’ai comment pris comment cela fonctionnait. Est-ce que je vais trouver une histoire ? C’est comme ça que je me suis lancé dans Le Jour où Tu dois Mourir.


(2ème partie d’interview à suivre)

Propos recueillis par Frédérick Rapilly (Février 2014)

  • Le Jour où Tu dois Mourir (Albin Michel, 2011 / Pocket, 2014)
  • Les Soldats de Papier (Albin Michel, 2012)
  • Chiens Enragés (Albin Michel, 2014)
Marc Charuel : « Millénium a été un choc total. Je l’ai lu, relu, décortiqué…. »
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