(Quai du Polar 2017) Bernard Minier : « Robinson Crusoé a été ma première émotion littéraire... »
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Bernard Minier (France) est l'un des invités à Quai du Polar 2017 parmi plus de 100 auteurs conviés.
INTERVIEW. Il a le crâne un peu dégarni et le physique, sec et tendu, d’un randonneur en montagne ou d’un coureur de marathon. Auteur de deux thrillers (bientôt trois), Glacé et Le Cercle, qui se sont vendus à plusieurs centaines de milliers d’exemplaires en France, sans compter les traductions à l’étranger (ils doivent aussi bientôt paraître aux Etats-Unis), Bernard Minier a toujours écrit. D’aussi loin qu’il s’en souvienne. Il a même dessiné des histoires. *
* Cette interview remonte à décembre 2013, depuis "Glacé" a été adapté en série télé pour M6 (première diffusion, le mardi 10 janvier à 21.00)
Dans tes souvenirs d’adolescent ou d’enfant, quel est le premier livre qui t’ai touché ?
J’ai un souvenir très précis, autant du livre que de la façon dont je l’ai découvert. On était à la fin de l’année. J’étais en CM1. La maîtresse d’école était une remplaçante. Elle nous a lu pendant une journée, Robinson Crusoé (Daniel Defoe, 1719). C’est ma première émotion littéraire, une véritable épiphanie.
Chez toi, vous lisiez peu ?
Nous avions des livres. Mais mon père était professeur dans un lycée technique. Nous n’avions pas ou peu de romans, surtout des encyclopédies. Par contre, très vite, les gens se sont mis à m’offrir des livres. Et donc, dans la maison, ma chambre est rapidement devenu l’endroit où le plus grand nombre de livres étaient concentrés.
Est-ce que tu étais un petit garçon qui racontait des histoires aux autres, à son entourage ?
Je lisais beaucoup de bandes dessinées. Je me souviens de Blek le roc, un trappeur. Cela m’avait donné envie de dessiner mes propres histoires de ce personnage que je filais aux copains qui adoraient. Après, je suis passé à Bob Morane : le grand héros, intègre et juste. C’était une lecture merveilleuse. Je partais en voyage. Là-aussi, j’ai commencé à écrire mes propres histoires de Bob Morane. Je devais avoir 10 ou 11 ans. Mais, mes textes ne circulaient pas trop. Je les montrais peu.
Etais-tu du genre bon élève… Ou pas ?
Disons que j’entretenais d’excellents rapports avec mes professeurs de Français. De la sixième à la première, je crois que j’ai toujours eu les meilleures notes en dissertation. Et puis à la fin de troisième, on m’a dirigé vers une filière scientifique alors que j’étais plutôt un littéraire. C’est mon père qui m’y poussait mais je sais que mes profs de Français s’y sont opposés. Je me suis quand même retrouvé à passer un Bac E. Ensuite, j’ai fait une première année de BTS que j’ai du quitter pour des problèmes de discipline. Après, j’ai fait une première année de médecine. Sans conclure.
Est-ce que tu continuais à écrire ?
Sans cesse. J’ai toujours écris. J’avais des cartons pleins, bourrés de textes tapés à la machine, beaucoup de science-fiction parce que j’en lisais beaucoup à l’époque. J’ai envoyé des nouvelles chez Gallimard. On m’a répondu avec un très jolie lettre personnalisée que c’était bien, qu’il fallait que je continue mais que j’arrête aussi de lire des romans américains. Il faut dire que mes personnages évoluaient dans des univers très proches de Bukowski, ce genre de littérature…
Qu’est-ce que tu lisais à l’époque ?
Beaucoup Michel Tournier. Et Nabokov, Thomas Bernhard, Witold Gombrowicz, l’Espagnol Javier Marias, ou encore José Saramago (prix Nobel de littérature)…
Et tes textes ? A qui les montres-tu sinon ?
A personne. Je ne montre rien pendant très longtemps. Je commence plein de romans que je laisse en plan… Il faut attendre le début des années 2000 pour que je me confronte aux autres. Je participe à des concours de nouvelles. J’écris aussi mon premier vrai livre, un roman d’espionnage très documenté sur Al Qaïda. Six mois avant le 11 septembre. Tout est bon pour la poubelle. Je me lance ensuite dans Glacé alors que je travaille encore dans les douanes. Alors, j’écris n’importe où, n’importe quand…
Depuis Glacé, est-ce que tu as gardé les mêmes habitudes d’écriture ?
Non, beaucoup de choses ont changé. J’ai pris un congé des douanes, mais j’ai conservé mes horaires de bureau. Je commence tôt le matin, et j’écris jusque 16h ou 17h. Sept jours sur sept. Quand je n’écris, ça me manque. Une fois, mon éditeur m’avait dit : « Prends 48 heures pour te reposer, sans écrire ! » Je n’ai pas tenu. J’ai besoin d’écrire.
Où écris-tu, alors ?
Dans un bureau, ou plutôt une chambre de 9m carré.
Peux-tu me la décrire ?
Trois murs sur quatre sont couverts de livres. Le quatrième, c’est celui de la fenêtre qui donne sur le jardin. Puisque tu sembles tout vouloir savoir, les rayonnages sont en chêne, et le plancher en châtaigner. Je l’ai posé moi-même. Mon bureau, c’est une grande planche de bois posée sur deux tréteaux. Mon regard porte sur le jardin. J’ai un mur de trois mètres de haut en face de moi, couvert de lierre. Je m’évade donc en regardant par la fenêtre, mais je ne vais très loin.
Est-ce que tu écris en musique ?
Non, j’ai besoin du silence le plus absolu. Je ne vais pas non plus surfer sur Internet. Je coupe tout quand j’écris. J’aime bien rester dans ma bulle. Je vais juste à la cuisine pour me faire des pauses café, et je vais prendre des douches. D’ailleurs, c’est là que je trouve mes meilleures idées.
Glacé se passe dans les Pyrénées, Le Cercle dans le sud-ouest… Te rends-tu sur place pour décrire les lieux ?
Oui. Je veux éviter les clichés. Je suis persuadé que pour décrire un coucher de soleil, j’ai besoin du détail qui fait vrai, le nuage qui va passer… Je ne peux pas l’inventer. J’ai besoin de le voir. Et c’est paradoxal car les villes que je raconte dans mes livres sont imaginaires. Par exemple, Saint Martin de Comminges dans mon roman, c’est Luchon. Comme mon 4ème roman pourrait bien ne pas se passer en France, mon éditeur est d’accord pour que je parte en voyage et que j’aille voir sur place. Dans Le Cercle, le passage qui se passe sur l’île de Santorin, j’ai pu le faire car j’y avais été par le passé.
Et tes personnages ? Est-ce qu’ils sont des émanations de toi, ou de ton entourage ?
Je ne suis pas Flaubert, donc je ne suis pas Madame Bovary. Mes personnages sont des fictions.
Est-ce que tu un adepte de la documentation ?
Je n’ai pas la prétention d’être journaliste mais je travaille dans cet esprit. Il m’arrive de faire des reconnaissances via Internet. Je vérifie des choses, mais je vois aussi mes contacts dans la police. Une de leurs réponses peut me faire changer beaucoup de choses. Par contre, la documentation doit complétement disparaître. Elle ne doit pas gêner la lecture.
T’imposes-tu aussi comme Paul Colize (Back Up, Un Long Moment de Silence…) des règles d’écriture ?
Je ne fais pas partie de l’Oulipo (L’Ouvroir de la Littérature Potentielle, un groupe réunissant des mathématiciens et des littéraires qui se donnait des contraintes d’écriture), mais c’est vrai que j’ai mes règles. Elles sont simples. J’évite d’utiliser « Il » ou « Elle » trop souvent. Je n’aime pas commencer une phrase par un A majuscule, mais j’aime bien les S. Le P ne me dérange pas non plus. C’est inexplicable, simplement quelque chose d’instinctif. J’évite aussi les épithètes, et les adverbes. Stephen King dit qu’ils sont comme des pissenlits dans une pelouse. Autant les arracher.
Pour tes intrigues, comment procèdes-tu ? Fais-tu un plan ?
Je n’ai pas toujours la même méthode. Pour mon troisième roman, j’ai fait un synopsis plus détaillé que d’habitude alors que pour Glacé et Le Cercle, j’avais le début et la fin mais pas le milieu. En même temps, je n’aime pas trop les livres où les structures sont très figées. Si je connais toute l’histoire, ça ne m’intéresse plus de l’écrire. Si mon dernier synopsis était plus précis, je me suis laissé de la liberté à l’intérieur de chaque scène. Je me sens plus comme un jazzman, libre d’improviser, qu’un musicien classique, coincé par sa partition.
Comment prends-tu tes notes ?
Partout ! J’ai des bouts de dialogues, des fragments d’intrigues, parfois une simple phrase sur des fiches. Mon bureau est un immense bordel avec des post-it partout. J’annote des livres, et j’empile des chemises cartonnées. C’est mon truc : les chemises cartonnées. Pour Glacé, j’en avais une sur les chevaux, une autre sur la psychiatrie. D’ailleurs, j’ai maintenant tout un rayon de livres sur ce sujet que je ne connaissais pas du tout.
Pas de logiciel genre Mind Mapping comme Franck Thilliez en utilise ?
Mind quoi ? Je ne suis pas du tout logiciel informatique, plus petit carnet. J’en ai partout. Des fois, j’en retrouve un quand j’ai fini un bouquin, et je me dis : « Merde, j’aurais dû mettre ça dans l’histoire ! » Et c’est trop tard.
Un auteur comme Ken Follet arrache des photos d’acteurs dans les magazines pour les coller aux murs, et avoir une idée du physique de ses personnages. Et toit ?
Je n’ai pas de règles. Pour Le Cercle, où il y a des personnages d’étudiants en khâgne, je me suis inspiré de deux acteurs américains pour avoir des détails physiques que je ne pouvais pas inventer. En général, je ne m’inspire jamais de personnes existantes, sauf pour des traits de caractère. Orson Scott Card (auteur notamment de La Stratégie Ender) dit qu’il faut dépasser la réalité, inventer un monde nouveau. Servaz (le personnage principal de Glacé et du Cercle) est brun, et mince. Il cite des auteurs latins, il n’a pas de télé. C’est un personnage décalé. Alors que son adjoint, Espérandieu, est un geek. Je décris très peu Servaz. Il est une idée. Il faut laisser sa place au lecteur dans le livre, qu’il s’approprie le personnage, qu’il l’imagine.
Tu n’as jamais pensé à un acteur pour Servaz ?
Si… Au départ, j’avais Julien Boisselier (Je vais bien, ne t’en fais pas en tête, La Liste de mes envies…)
Et, si tes livres étaient portés sur grand ou petit écran, as-tu une idée des acteurs qui pourraient interpréter tes personnages ?
Je préfère être surpris. Je suis incapable de répondre à cette question (Depuis cette interview qui date de 2013, "Glacé" a été adapté pour la télévision sous forme d'un série en 6 épisodes diffusée à partir du mardi 10 janvier 2017 sur M6, avec Charles Behrling dans le rôle du capitaine Servaz)
Quand tu t’es lancé dans Glacé, avais-tu consulté des manuels ou des méthodes d’écriture ?
Non. Mais le paradoxe, c’est que j’ai commencé à en lire après. Surtout, j’ai lu Ecriture de Stephen King, et Personnages et points de vue d’Orson Scott Card.
Tu as toujours beaucoup lu. Est-ce que tu continues ?
Je manque de temps. J’essaie… J’évite par contre de lire Frank (Thilliez) quand j’écris. Sinon, je me retrouve à écrire avec son propre style. C’est pareil pour Grangé. Je préfère des auteurs étrangers. Les traductions sont plus neutres.
Ton 3ème roman sort en 2014. Qu’est-ce que tu peux m’en dire ?
Le titre, même si tout le monde le connaît : N’éteins pas la lumière. On y retrouve Servaz. L’histoire de passe à Toulouse, et un nouveau personnage féminin va apparaître et prendre de l’importance. Voilà tout ce que je peux te révéler.
Propos recueillis par Frédérick Rapilly (décembre 2013)
- Glacé, XO Editions (2011) / Pocket (2012)
- Le Cercle, XO Editions (2012) / Pocket (2013)
- N’éteins pas la lumière, XO Editions (2014)